Quai Voltaire, en plein cœur de Paris. L'appartement où nous reçoit Jean-Pierre Mocky surplombe avec majesté la Seine et offre un panorama rare sur le Louvre et le jardin des Tuileries. C'est dans cet immeuble magnifique, à quelques minutes de Saint-Germain-des-Prés, que le réalisateur a installé les bureaux de sa société de production. Dans ce cadre privilégié, l'appartement dénote : quelques meubles épars, des dossiers dans tous les coins et, au mur, les affiches de tous ses films. Il est un peu à l'image de la carrière de Jean-Pierre Mocky, une enclave fauchée dans un système où scintillent des étoiles inaccessibles. Face à nous, sur une chaise, le réalisateur aux 60 films en 50 ans nous accorde une petite heure d'entretien, l’œil fixé sur une horloge, la main sur un téléphone portable, le regard vers une fenêtre et les pensées pour un prochain film dont il nous montre l'affiche.
Jean-Pierre Mocky : Alors, qu'est-ce que vous voulez ? Me parler des vieux acteurs ?
Julien Morvan : Oui ... mais avant, juste un mot sur votre propre carrière d'acteur. Vous avez tourné avec Marcel Carné, avec...
Jean-Pierre Mocky : Oui, j'ai tourné avec Carné, j'ai tourné en Italie avec Antonioni, Maselli, Bianchi, De Santis, j'ai tourné avec beaucoup de monde. J'ai fait à peu près cent films avec tout le monde, avec Cocteau, avec Pinoteau, avec Gilles Grangier. Généralement, à l'époque, la carrière était celle de De Funès, c'est à dire qu'il a fait cent films où il ne dit qu'un mot ... et à 49 ans, il a fait
Le gendarme de Saint-Tropez (Girault, 1964) et il est devenu une star.
(Il se lève et rappelle son chien) Oui, j'ai tourné avec tous ces gens-là mais il faut penser que beaucoup d'acteurs sont arrivés très tard, De Funès étant le champion parce qu'il avait près de 50 ans. Marlène Jobert a commencé à 36 ans aussi, il y a eu Sharon Stone en Amérique. Lino Ventura, j'ai fait son premier film,
Le Gorille vous salue bien (Borderie, 1957) où je jouais. En principe, les acteurs qui commencent tard ne sont pas dans la tradition des acteurs classiques qui font le Conservatoire, qui commencent leurs études à 19 ans comme Belmondo, moi ou d'autres. Les autres sont des gens du peuple : Gabin, ce n'était pas un acteur, Aznavour non plus. Jouvet, par exemple, c'était un pharmacien. Il y a beaucoup de médecins qui sont devenus acteurs.
Tanguy Métrope : Est-ce que les réalisateurs que vous avez côtoyé - Autant-Lara, Carné - ont pu influencer votre travail ?
Jean-Pierre Mocky : Pas vraiment. Autant-Lara, j'ai été son assistant, j'ai fait
Occupe-toi d'Amélie (1949) parce que j'habitais chez lui, il m'aimait bien. Ce type là était un manuel, un ancien décorateur, il travaillait sur plans. Il faisait tous les plans de ses films, ce qu'on appelle aujourd'hui un story-board. Il dessinait tout et une fois que c'était fait, il n'y changeait plus rien. Carné, c'était un peu ça aussi, c'était un technicien. Les techniciens, c'est des gens qui ont des œillères, qui n'aiment pas trop bouleverser. Ils disaient "La caméra est là, et là !" et quand ils tournaient, ils ne mettaient pas la caméra ailleurs que sur le dessin. Tandis que Godard, moi et beaucoup d'autres, on est à l'impro ... on a un fil conducteur mais on improvise. Tarantino improvise aussi, c'est un copain. C'est au théâtre qu'on donne des places, le théâtre est immuable
(rires). Les acteurs peuvent improviser dans une phrase mais pas dans un mouvement.
Tanguy Métrope : Cocteau aussi ?
Jean-Pierre Mocky : Non Cocteau, c'était un gars formidable pour lequel j'avais une grande sympathie, il m'a aidé énormément. Je n'ai fait qu'un seul film avec lui,
Orphée (1949), je ne dis qu'une seule phrase. Mais Jean n'étais pas metteur en scène, jamais il ne l'a été, il faisait faire ses films, soit par Pinoteau pour
Orphée, soit par René Clément pour
La Belle et la Bête (1946). Il était là, comme vous êtes là, il regardait et il avait un conseiller technique. Beaucoup de gens ont eu un conseiller, comme Sacha Guitry. C'étaient des gens qui ne connaissaient pas le cinéma, qui avaient envie d'en faire mais c'était le technicien qui faisait tout. Il y a eu beaucoup d'auteurs dramatiques qui sont devenus metteurs en scène, aux Etats-Unis aussi.
Julien Morvan : A cette époque, vous avez tourné dans
Le comte de Monte-Cristo (Vernay, 1954) et
Dieu a besoin des hommes (Delannoy, 1950). Avez vous des souvenirs d'acteurs comme Pierre Fresnay ?
Jean-Pierre Mocky : Pierre Fresnay c'est mon parrain ! J'étais chauffeur de taxi, c'est lui qui m'a mis dans le métier. J'avais 18 ans, je l'ai pris dans mon taxi et il m'a mis dans une pièce, puis dans ce film. Après, curieusement, je n'ai jamais tourné avec lui quand je suis devenu metteur en scène. C'était un acteur qui n'aimait pas le cinéma, il n'aimait que le théâtre. Vers la fin de sa carrière, il ne tournait que des trucs comme
Les vieux de la vieille (Grangier, 1960) avec Gabin, il tournait avec ses copains. Il n'aimait pas prendre des risques, tourner avec des jeunes ou des sujets particuliers. Après
Le Corbeau (Clouzot, 1943) et quelques autres, il n'a tourné que des conneries. Aujourd'hui il y a Jacques Weber, Pierre Arditi ... Arditi, c'est le nouveau Pierre Fresnay. A la télévision, il ne fait que des conneries ; au cinéma, moi je l'ai eu dans un film mais je n'ai plus voulu le prendre après parce qu'il ne faisait que des bêtises. Ce sont des gens qui n'aiment que le théâtre alors au cinéma ils sont désorientés face aux autres acteurs. Dussollier avec un revolver, il a l'air d'un con. Pourquoi ? Parce que ce n'est pas son truc, ce n'est pas Lino Ventura ! Aujourd'hui, il n'y a que des acteurs de télévision ou de théâtre et ce sont eux qu'on engage pour faire des films. Regardez la carrière de Dujardin ... jamais il n'y aurait eu un acteur comme ça sur le plateau à l'époque. Celui qui me fait penser à Dujardin, c'est Albert Préjean, un acteur extraordinaire ... mais c'était le bouche trou, c'était l'acteur qui représentait le public parce qu'il n'avait pas vraiment de physique. Il était là dans
L'alibi (Chenal, 1937) face à Louis Jouvet et Erich Von Stroheim mais il était complètement écrasé.
(rires) Il était là parce qu'il fallait un gars comme ça, un gars du peuple, normal par rapport à des monstres comme les deux autres. Albert Préjean dans
Mollenard (Siodmak, 1937) était complètement écrasé par Harry Baur.
Julien Morvan : Dans les
Maigret, il est intéressant tout de même ...
Jean-Pierre Mocky : Oui, dans
Cécile est morte (Tourneur, 1944), on le passe en ce moment dans mon cinéma. Ça marche bien d'ailleurs, il y a beaucoup de monde ! Je sais pas pourquoi mais bon ...
Julien Morvan : Dans votre livre, vous écrivez qu'après la sortie de
La cité de l'indicible peur (1964), un distributeur vous a dit : "Vous n'avez pas fait ce que vous disiez ! Avec tous ces vieux ringards ..."
Jean-Pierre Mocky : Parce que le problème de l'âge se répercute partout ! Vous êtes jeunes ... mais regardez actuellement il y a un film assez marrant, c'est Stallone et De Niro qui jouent des vieux boxeurs. J'étais avec De Niro l'autre fois à dîner à la gare Saint-Lazare parce qu'il est venu faire un film avec Besson, qui n'a pas marché d'ailleurs ... Le film s'est cassé la gueule, c'était une catastrophe parce qu'on ne peut pas déraciner un type qui a fait
Casino (Scorsese, 1995) ou
Taxi Driver (Scorsese, 1976) et le mettre dans une ferme en Normandie. Vous voyez le décalage ! On ne peut pas transplanter un bananier dans le Nord.
(rires) Il y avait eu un film aussi avec Kirk Douglas et Burt Lancaster - Kirk, je le connais bien - genre
O.K. Corral mais des années après, et ça n'a pas marché.
Julien Morvan :
Coup double (Kanew, 1986), en français !
Jean-Pierre Mocky : Voilà, exactement. Alors ces vieux acteurs ... aujourd'hui les producteurs les appellent des ringards, d'ailleurs moi-même on m'appelle un ringard ! Pourquoi ? Si vous connaissez le vieux cinéma, prenez mes amis Lautner, Molinaro, Pinoteau, Deray, Carné, Gance, Autant-Lara ... il y a une tradition dans le civil : quand vous avez 60 ans, on vous met à la retraite, on considère que vous allez vous mettre dans une mare avec des canards et attendre la mort. Mais le cinéma, c'est un métier où on ne prend pas de retraite, surtout tant que le type a ses moyens. Prenez l'exemple de mon copain Oliveira qui a 107 ans et qui est en train de tourner ! Lautner, ça faisait dix-sept ans que personne ne lui avait demandé de faire un film, Molinaro pareil, Verneuil pareil. Autant-Lara est resté trente ans sans travailler. 70 ans, la cloche sonne : "Allez va te faire foutre !", quel que soit le succès du type ! Les grands acteurs n'aimaient pas les gens comme moi car ils avaient un peu l'habitude de diriger les films. Moi, j'ai eu beaucoup de mal quand j'ai tourné avec Fernandel car il voulait toujours dire quelque chose ; Alberto Sordi pareil ... mais je les ai tenu ! J'avais trouvé le moyen, je leur disais "Tu veux faire une scène ? Vas-y, fais là, moi je suis payé je m'en vais" et ça ... ils ne supportaient pas.
Tanguy Métrope : En prenant quelques exemples justement ... Marcel Pérès ?
Jean-Pierre Mocky : Marcel était un acteur que j'adorais, un second rôle. Il était formidable mais c'était un garçon totalement analphabète, un gars de la rue. C'était comme si on avait pris le charbonnier du coin et qu'on en avait fait une vedette ... parce qu'il avait un naturel. Après, il a joué pas mal au théâtre aussi. Moi je l'ai utilisé beaucoup. Je n'ai pas pu utiliser Carette parce qu'il est mort, brûlé, au moment où je débutais. Je n'ai pas pu utiliser Jules Berry parce que j'étais son secrétaire et il est mort avant que je débute. Je n'ai pas pu utiliser Louis Jouvet parce qu'il est mort quand j'étais au Conservatoire, c'était mon professeur avec Belmondo. Tous ces acteurs ... Larquey, j'ai tourné avec lui dans
Maternité clandestine (Gourguet, 1953), j'ai tourné avec Delmont aussi mais ce film n'est jamais sorti !
Julien Morvan : Vous auriez pu faire tourner Maurice Chevalier dans
Le renard jaune !
Jean-Pierre Mocky : Oui ! Maurice, c'est l'homme qui m'a lancé. Il habitait avenue Foch, à côté des Champs-Elysées et mon film,
Les Dragueurs (1959) ne sortait que dans une seule salle, qui était pleine. Il a été intrigué, il est rentré dans la salle, il a vu le film et en a dit beaucoup de bien par la suite dans une émission de télévision. Alors quand j'ai voulu faire
Le renard jaune avec Bourvil, j'ai voulu prendre Maurice Chevalier parce que je voulais lui renvoyer l'ascenseur. Seulement ... les gens n'en voulaient plus. C'est encore l'histoire des ringards ...
Julien Morvan : Vous avez aussi été l'un des derniers à faire tourner des acteurs qui avaient une grande carrière, comme Alexandre Rignault ou Alice Tissot.
Jean-Pierre Mocky : Alice Tissot, oui !
(rires) Elle était folle de jalousie parce qu'elle détestait Pauline Carton, l'amie de Sacha Guitry qui tournait dans tous ses films. Dès qu'il y avait un truc marrant, c'était elle ou Marguerite Pierry. Et Marguerite était la concurrente de Alice Tissot ! Alors Alice ...
(rires) ne tournait que dans des conneries. Je l'ai fait tourner une fois !
Tanguy Métrope : Et des gens comme Roger Legris ? Vous avez fait 8 films avec lui !
Jean-Pierre Mocky : Alors Roger Legris, son problème était assez grave : il était l'ami de Le Vigan, grand acteur que j'ai jamais pu faire tourner puisqu'il était exilé en Amérique du Sud. C'était un acteur formidable Roger Legris, je l'ai utilisé pas mal de fois, dans
Les compagnons de la marguerite (1967), dans
La grande lessive (!) (1969) parce que je l'aimais beaucoup seulement ... on s'est fâchés ! Il a tourné le sacristain dans
Un drôle de paroissien (1963) et quand il a vu le film, il a trouvé que c'était sacrilège. Il est mort sans que je le sache, c'est une tristesse. Je l'avais vu dans
Pépé le Moko (Duvivier, 1937), je l'avais trouvé formidable et après je guettais tous les films où il était.
Julien Morvan : Vous alliez chercher vos acteurs parce que vous les aviez vu au cinéma ?
Jean-Pierre Mocky : Oui ! Et Alexandre Rignault, c'était un très grand acteur. Je n'ai malheureusement fait qu'une petite scène avec lui, quand il regarde le derrière de Andréa Ferréol. Il avait eu de beaux rôles principaux.
Julien Morvan : Toujours dans les seconds rôles, deux acteurs que nous adorons ... Noël Roquevert et Jacques Dufilho !
Jean-Pierre Mocky : Ah oui, Dufilho je lui ai donné des premiers rôles ! Il a tourné beaucoup avec moi ...
Tanguy Métrope : De Funès avait d'ailleurs dit que c'était un acteur sous-exploité !
Jean-Pierre Mocky : Oui, oui mais je vais vous dire ... il avait des points communs avec Louis, il aurait pu faire sa carrière. Mais il était homosexuel et les gens, à l'époque, ne les appréciaient pas toujours, leur carrière était un peu freinée. Tissier aussi a été un peu freiné, c'était un acteur exceptionnel ! Je l'avais pris parce que j'avais tourné un film avec lui et Saturnin Fabre quand j'étais acteur ... mais le film n'est jamais sorti parce qu'il n'y avait pas de pellicule dans la caméra. Ça s'appelait
Les nuits de Montmartre, on peut voir l'affiche d'ailleurs dans un livre qui va paraître. Il y a aussi
La fleur de l'âge de Marcel Carné.
Julien Morvan : Vous avez aussi fait tourner Gabriello, dont on ne parle plus beaucoup aujourd'hui.
Jean-Pierre Mocky : Ah oui, Gabriello je l'ai fait tourner dans
La bourse ou la vie (1965) ; c'est le seul film qui n'est pas dans mon coffret mais on l'aura l'année prochaine.
Julien Morvan : On a réussi à le voir grâce à la vidéo !
Jean-Pierre Mocky : Ah il existe en VHS ? Oui, Gabriello fait un des trois Robinhoude. C'était un personnage connu, il faisait le second d'Albert Préjean dans les
Maigret.
Tanguy Métrope : Et vous avez mis des acteurs dans des situations atypiques, je pense à Jess Hahn dans
Un linceul n'a pas de poche (1974) ... il est un diable en slip !
Jean-Pierre Mocky : Oui Jess, c'était un brave type, un américain exilé en France. Mais Noël Roquevert, malheureusement, je n'ai tourné que deux films avec lui comme acteur et un seul en tant que metteur en scène. Il était exceptionnel lui ...
(rires) plein d'humour ! Pasquali aussi c'était un type marrant.
Julien Morvan : Les vedettes, vous en avez souvent parlé mais si vous deviez en garder un souvenir ... Francis Blanche par exemple ?
Jean-Pierre Mocky : Francis était un ami et un auteur, on a beaucoup travaillé ensemble. Quand je l'ai connu, il était mince comme vous. Il a eu un choc psychologique et il a grossi ... d'ailleurs dans sa carte d'identité des
Compagnons de la marguerite, il a une photo de jeunesse. On était vraiment sur la même longueur d'onde, on a travaillé avec lui et Queneau sur plusieurs films. Mais quand on prend un second rôle, il faut que l'acteur vedette soit formidable sinon le second rôle écrase le premier. Aujourd'hui avec le misérabilisme des premiers rôles, on ne pourrait pas mettre Jean Dujardin face à Saturnin Fabre ou Jules Berry, il serait bouffé complètement !
(rires) Au fur et à mesure des années, même Michel Serrault n'aimait pas beaucoup que je lui mette des acteurs avec beaucoup de personnalité. Il n'en avait pas lui, il avait un physique banal. C'était un acteur formidable mais on ne lui a pas fait de scène avec Michel Simon dans
L'ibis rouge (1975), il avait peur de la confrontation, il avait peur d'être écrasé. C'est pour ça qu'aujourd'hui, vous n'avez que très peu de seconds rôles.
Julien Morvan : Dans
L'assassin habite au 21 (Clouzot, 1941), Larquey, Tissier et Roquevert écrasent presque Pierre Fresnay !
Jean-Pierre Mocky : Presque oui !
Tanguy Métrope : Vous aviez une réelle envie de faire tourner Michel Simon ?
Jean-Pierre Mocky : Oui mais je devais le faire tourner bien avant ! C'était le premier spectateur de
Snobs ! en 1961 et je ne l'ai fait tourner que quatorze ans après. C'est un peu la même chose que Gabin, j'étais très copain avec lui et il devait tourner
Le Témoin (1978), dix jours avant, il est mort. Je n'ai tourné qu'un seul film avec lui, comme acteur,
Le rouge est mis (Grangier, 1957) où j'ai une petite scène. Coluche devait tourner
Le miraculé (1987), vingt jours avant il est mort. Il parlait du film tous les jours dans son émission de radio. Là, je viens de tourner avec son fils Marius !
Julien Morvan : C'est vous qui avez offert ses plus beaux rôles à Jacqueline Maillan également.
Jean-Pierre Mocky : Oui ! Je suis fâché avec Delahousse, qui est un con fini, parce qu'il a fait une émission
Un jour, un destin sur Jacqueline Maillan sans parler de mes films. Il a passé un peu du
Miraculé pour Serrault et un bout d'émission sur Bourvil mais ... c'est un bandit, un fossoyeur, il gagne de l'argent avec les morts. Il a laissé entendre que Jacqueline Maillan était lesbienne ... elle n'a jamais été lesbienne, jamais ! C'est comme l'autre con de Cédric Kahn qui a fait
La Môme [
ndlr : il s'agit en réalité du réalisateur Olivier Dahan]. Il n'y a rien de vrai dans tout ça, moi j'étais très copain avec Edith Piaf. En même temps, avec ses gros yeux de vache, elle n'a rien à voir physiquement avec Piaf, qui était toute petite avec des petits yeux. J'appelle ça des profanateurs de sépultures. Maintenant je refuse de faire tout ce qu'il propose.
Tanguy Métrope : Juste un mot sur Bourvil et Fernandel ?
Jean-Pierre Mocky : Ils se détestaient. C'étaient des gens qui, humainement, étaient des braves types mais ils se détestaient.
Un drôle de paroissien aurait dû être tourné par Fernandel mais son agent n'a pas voulu à cause des histoires de
Don Camillo et de la religion. Je ne connaissais pas beaucoup Bourvil, qui avait fait beaucoup de conneries avec Berthomieu. Je lui ai remis le scénario, une heure après il m'a appelé pour me dire qu'il le faisait, gratuitement. Comme je connaissais Fufu, je l'ai appelé pour lui proposer le rôle du policier, ce qu'il a accepté, mais son con d'agent a demandé une fortune alors qu'il n'était pas encore très connu.
Julien Morvan : C'est un regret ?
Jean-Pierre Mocky : J'aurais dû en refaire un, j'ai eu un procès avec
La Zizanie (Zidi, 1978) et Fechner, ils m'ont piqué mon sujet. On m'a donné beaucoup d'argent pour que je renonce à mon projet. Pour Fernandel, ça a été une amitié aussi pour
La bourse et la vie. Marco Ferreri disait que c'était un de mes meilleurs films. Voyez la vie ... après ils ont tourné
La cuisine au beurre (Grangier, 1963), ils se sont disputé pendant tout le tournage, ça n'a pas marché entre eux.
Tanguy Métrope : Vous auriez voulu les associer ?
Jean-Pierre Mocky : Non, non ... c'est des tempéraments similaires, ce sont deux doubles, des comiques dramatiques. Mais les mettre ensemble, c'était pas très valorisant. Le contraste avec De Funès était bien, dans
La grande vadrouille (Oury, 1966), ils étaient bien ensemble ! J'aurais dû être le premier à les réunir mais le destin fait que ...
Julien Morvan : Un dernier acteur que nous aimons beaucoup, c'est Raymond Rouleau !
Jean-Pierre Mocky : Ah, Raymond, c'est toute une histoire ! C'était mon acteur favori quand j'étais figurant dans
Dernier atout (Becker, 1942) qu'on avait tourné à Nice avec Pierre Renoir, Mireille Balin et Georges Rollin, qui était un type pas mal aussi ... plus personne ne parle de lui, il était gentil comme tout. On avait mis Raymond Rouleau, qui était petit, sur une petite estrade en bois pour qu'il soit aussi grand que Mireille Balin. Il est devenu mon idole, je le trouvais formidable. Je l'avais abordé quand j'étais figurant et il était très content que je connaisse tous ses films. Je l'ai retrouvé en 1952 lorsqu'il montait
Thé et sympathie avec Ingrid Bergman. Après, en 1964, Jean-Louis Barrault m'a suggéré Raymond Rouleau pour jouer le maire dans
La cité de l'indicible peur.
Julien Morvan : Une question triviale pour terminer ... si vous ne deviez garder qu'un seul film du cinéma français ?
Jean-Pierre Mocky : C'est à dire qu'il y en a plein ! J'aime tous les films français entre 1930 et 1960 ...
Pépé le Moko,
La rue sans joie (Hugon, 1938). J'aime les réalisateurs comme Maurice Tourneur, Fritz Lang, Pierre Chenal que j'aimais beaucoup, j'étais très copain avec lui.
Julien Morvan : On n'en parle plus beaucoup hélas.
Jean-Pierre Mocky : J'ai failli tourner un film avec lui en Amérique du Sud mais il a pris Maurice Ronet, ça s'appelait
Section des disparus (1956). Je devais jouer le rôle mais c'est Maurice qui est parti car moi je tournais un autre film. Il a fait des films formidables ...
Crime et Châtiment (1935). Moi, si vous voulez, le film que je préfère, c'est un film japonais.
Les visiteurs du soir (Carné, 1942) aussi c'est formidable ! Et j'ai tourné un film avec Johnny Hallyday, qui a disparu, parce qu'il l'a acheté pour qu'on ne connaisse pas son âge ! C'est
Dossier 1413 (Rode, 1962), je vous le recommande si vous le trouvez ! Il a 75 ans lui, mais il ne le dit pas. A chaque fois je me marre ...
Jean-Pierre Mocky se lève, il doit partir manger quelque part dans Paris. Pendant notre entretien, il a reçu plusieurs coups de téléphone, joué avec son chien, marché de long en large, évoqué près de huit décennies de cinéma entre souvenirs, carrière et amis. Nous sommes restés assis dans le seul canapé de cette grande pièce vide à l'écouter, à poser quelques questions. Nous sommes à peine levés qu'il est déjà sur le départ, en mouvement permanent, toujours courtois, toujours pressé. Nos 25 ans respectifs nous paraissent presque lourds à porter face à ce diable d'homme qui n'accuse ses 80 ans que parce qu'il entend encore en vivre vingt autres. A toute vitesse !
Par Julien Morvan et Tanguy Métrope,
Paris, le 26 janvier 2014