mercredi 29 janvier 2014

Rencontre avec Jean-Pierre Mocky (1933)

Quai Voltaire, en plein cœur de Paris. L'appartement où nous reçoit Jean-Pierre Mocky surplombe avec majesté la Seine et offre un panorama rare sur le Louvre et le jardin des Tuileries. C'est dans cet immeuble magnifique, à quelques minutes de Saint-Germain-des-Prés, que le réalisateur a installé les bureaux de sa société de production. Dans ce cadre privilégié, l'appartement dénote : quelques meubles épars, des dossiers dans tous les coins et, au mur, les affiches de tous ses films. Il est un peu à l'image de la carrière de Jean-Pierre Mocky, une enclave fauchée dans un système où scintillent des étoiles inaccessibles. Face à nous, sur une chaise, le réalisateur aux 60 films en 50 ans nous accorde une petite heure d'entretien, l’œil fixé sur une horloge, la main sur un téléphone portable, le regard vers une fenêtre et les pensées pour un prochain film dont il nous montre l'affiche.



Jean-Pierre Mocky : Alors, qu'est-ce que vous voulez ? Me parler des vieux acteurs ?

Julien Morvan : Oui ... mais avant, juste un mot sur votre propre carrière d'acteur. Vous avez tourné avec Marcel Carné, avec...

Jean-Pierre Mocky : Oui, j'ai tourné avec Carné, j'ai tourné en Italie avec Antonioni, Maselli, Bianchi, De Santis, j'ai tourné avec beaucoup de monde. J'ai fait à peu près cent films avec tout le monde, avec Cocteau, avec Pinoteau, avec Gilles Grangier. Généralement, à l'époque, la carrière était celle de De Funès, c'est à dire qu'il a fait cent films où il ne dit qu'un mot ... et à 49 ans, il a fait Le gendarme de Saint-Tropez (Girault, 1964) et il est devenu une star. (Il se lève et rappelle son chien) Oui, j'ai tourné avec tous ces gens-là mais il faut penser que beaucoup d'acteurs sont arrivés très tard, De Funès étant le champion parce qu'il avait près de 50 ans. Marlène Jobert a commencé à 36 ans aussi, il y a eu Sharon Stone en Amérique. Lino Ventura, j'ai fait son premier film, Le Gorille vous salue bien (Borderie, 1957) où je jouais. En principe, les acteurs qui commencent tard ne sont pas dans la tradition des acteurs classiques qui font le Conservatoire, qui commencent leurs études à 19 ans comme Belmondo, moi ou d'autres. Les autres sont des gens du peuple : Gabin, ce n'était pas un acteur, Aznavour non plus. Jouvet, par exemple, c'était un pharmacien. Il y a beaucoup de médecins qui sont devenus acteurs.

Tanguy Métrope : Est-ce que les réalisateurs que vous avez côtoyé - Autant-Lara, Carné - ont pu influencer votre travail ?

Jean-Pierre Mocky : Pas vraiment. Autant-Lara, j'ai été son assistant, j'ai fait Occupe-toi d'Amélie (1949) parce que j'habitais chez lui, il m'aimait bien. Ce type là était un manuel, un ancien décorateur, il travaillait sur plans. Il faisait tous les plans de ses films, ce qu'on appelle aujourd'hui un story-board. Il dessinait tout et une fois que c'était fait, il n'y changeait plus rien. Carné, c'était un peu ça aussi, c'était un technicien. Les techniciens, c'est des gens qui ont des œillères, qui n'aiment pas trop bouleverser. Ils disaient "La caméra est là, et là !" et quand ils tournaient, ils ne mettaient pas la caméra ailleurs que sur le dessin. Tandis que Godard, moi et beaucoup d'autres, on est à l'impro ... on a un fil conducteur mais on improvise. Tarantino improvise aussi, c'est un copain. C'est au théâtre qu'on donne des places, le théâtre est immuable (rires). Les acteurs peuvent improviser dans une phrase mais pas dans un mouvement.

Tanguy Métrope : Cocteau aussi ?

Jean-Pierre Mocky : Non Cocteau, c'était un gars formidable pour lequel j'avais une grande sympathie, il m'a aidé énormément. Je n'ai fait qu'un seul film avec lui, Orphée (1949), je ne dis qu'une seule phrase. Mais Jean n'étais pas metteur en scène, jamais il ne l'a été, il faisait faire ses films, soit par Pinoteau pour Orphée, soit par René Clément pour La Belle et la Bête (1946). Il était là, comme vous êtes là, il regardait et il avait un conseiller technique. Beaucoup de gens ont eu un conseiller, comme Sacha Guitry. C'étaient des gens qui ne connaissaient pas le cinéma, qui avaient envie d'en faire mais c'était le technicien qui faisait tout. Il y a eu beaucoup d'auteurs dramatiques qui sont devenus metteurs en scène, aux Etats-Unis aussi.

Julien Morvan : A cette époque, vous avez tourné dans Le comte de Monte-Cristo (Vernay, 1954) et Dieu a besoin des hommes (Delannoy, 1950). Avez vous des souvenirs d'acteurs comme Pierre Fresnay ?

Jean-Pierre Mocky : Pierre Fresnay c'est mon parrain ! J'étais chauffeur de taxi, c'est lui qui m'a mis dans le métier. J'avais 18 ans, je l'ai pris dans mon taxi et il m'a mis dans une pièce, puis dans ce film. Après, curieusement, je n'ai jamais tourné avec lui quand je suis devenu metteur en scène. C'était un acteur qui n'aimait pas le cinéma, il n'aimait que le théâtre. Vers la fin de sa carrière, il ne tournait que des trucs comme Les vieux de la vieille (Grangier, 1960) avec Gabin, il tournait avec ses copains. Il n'aimait pas prendre des risques, tourner avec des jeunes ou des sujets particuliers. Après Le Corbeau (Clouzot, 1943) et quelques autres, il n'a tourné que des conneries. Aujourd'hui il y a Jacques Weber, Pierre Arditi ... Arditi, c'est le nouveau Pierre Fresnay. A la télévision, il ne fait que des conneries ; au cinéma, moi je l'ai eu dans un film mais je n'ai plus voulu le prendre après parce qu'il ne faisait que des bêtises. Ce sont des gens qui n'aiment que le théâtre alors au cinéma ils sont désorientés face aux autres acteurs. Dussollier avec un revolver, il a l'air d'un con. Pourquoi ? Parce que ce n'est pas son truc, ce n'est pas Lino Ventura ! Aujourd'hui, il n'y a que des acteurs de télévision ou de théâtre et ce sont eux qu'on engage pour faire des films. Regardez la carrière de Dujardin ... jamais il n'y aurait eu un acteur comme ça sur le plateau à l'époque. Celui qui me fait penser à Dujardin, c'est Albert Préjean, un acteur extraordinaire ... mais c'était le bouche trou, c'était l'acteur qui représentait le public parce qu'il n'avait pas vraiment de physique. Il était là dans L'alibi (Chenal, 1937) face à Louis Jouvet et Erich Von Stroheim mais il était complètement écrasé. (rires) Il était là parce qu'il fallait un gars comme ça, un gars du peuple, normal par rapport à des monstres comme les deux autres. Albert Préjean dans Mollenard (Siodmak, 1937) était complètement écrasé par Harry Baur.

Julien Morvan : Dans les Maigret, il est intéressant tout de même ...

Jean-Pierre Mocky : Oui, dans Cécile est morte (Tourneur, 1944), on le passe en ce moment dans mon cinéma. Ça marche bien d'ailleurs, il y a beaucoup de monde ! Je sais pas pourquoi mais bon ...

Julien Morvan : Dans votre livre, vous écrivez qu'après la sortie de La cité de l'indicible peur (1964), un distributeur vous a dit : "Vous n'avez pas fait ce que vous disiez ! Avec tous ces vieux ringards ..."

Jean-Pierre Mocky : Parce que le problème de l'âge se répercute partout ! Vous êtes jeunes ... mais regardez actuellement il y a un film assez marrant, c'est Stallone et De Niro qui jouent des vieux boxeurs. J'étais avec De Niro l'autre fois à dîner à la gare Saint-Lazare parce qu'il est venu faire un film avec Besson, qui n'a pas marché d'ailleurs ... Le film s'est cassé la gueule, c'était une catastrophe parce qu'on ne peut pas déraciner un type qui a fait Casino (Scorsese, 1995) ou Taxi Driver (Scorsese, 1976) et le mettre dans une ferme en Normandie. Vous voyez le décalage ! On ne peut pas transplanter un bananier dans le Nord. (rires) Il y avait eu un film aussi avec Kirk Douglas et Burt Lancaster - Kirk, je le connais bien - genre O.K. Corral mais des années après, et ça n'a pas marché.

Julien Morvan : Coup double (Kanew, 1986), en français !

Jean-Pierre Mocky : Voilà, exactement. Alors ces vieux acteurs ... aujourd'hui les producteurs les appellent des ringards, d'ailleurs moi-même on m'appelle un ringard ! Pourquoi ? Si vous connaissez le vieux cinéma, prenez mes amis Lautner, Molinaro, Pinoteau, Deray, Carné, Gance, Autant-Lara ... il y a une tradition dans le civil : quand vous avez 60 ans, on vous met à la retraite, on considère que vous allez vous mettre dans une mare avec des canards et attendre la mort. Mais le cinéma, c'est un métier où on ne prend pas de retraite, surtout tant que le type a ses moyens. Prenez l'exemple de mon copain Oliveira qui a 107 ans et qui est en train de tourner ! Lautner, ça faisait dix-sept ans que personne ne lui avait demandé de faire un film, Molinaro pareil, Verneuil pareil. Autant-Lara est resté trente ans sans travailler. 70 ans, la cloche sonne : "Allez va te faire foutre !", quel que soit le succès du type ! Les grands acteurs n'aimaient pas les gens comme moi car ils avaient un peu l'habitude de diriger les films. Moi, j'ai eu beaucoup de mal quand j'ai tourné avec Fernandel car il voulait toujours dire quelque chose ; Alberto Sordi pareil ... mais je les ai tenu ! J'avais trouvé le moyen, je leur disais "Tu veux faire une scène ? Vas-y, fais là, moi je suis payé je m'en vais" et ça ... ils ne supportaient pas.



Tanguy Métrope : En prenant quelques exemples justement ... Marcel Pérès ?

Jean-Pierre Mocky : Marcel était un acteur que j'adorais, un second rôle. Il était formidable mais c'était un garçon totalement analphabète, un gars de la rue. C'était comme si on avait pris le charbonnier du coin et qu'on en avait fait une vedette ... parce qu'il avait un naturel. Après, il a joué pas mal au théâtre aussi. Moi je l'ai utilisé beaucoup. Je n'ai pas pu utiliser Carette parce qu'il est mort, brûlé, au moment où je débutais. Je n'ai pas pu utiliser Jules Berry parce que j'étais son secrétaire et il est mort avant que je débute. Je n'ai pas pu utiliser Louis Jouvet parce qu'il est mort quand j'étais au Conservatoire, c'était mon professeur avec Belmondo. Tous ces acteurs ... Larquey, j'ai tourné avec lui dans Maternité clandestine (Gourguet, 1953), j'ai tourné avec Delmont aussi mais ce film n'est jamais sorti !

Julien Morvan : Vous auriez pu faire tourner Maurice Chevalier dans Le renard jaune !

Jean-Pierre Mocky : Oui ! Maurice, c'est l'homme qui m'a lancé. Il habitait avenue Foch, à côté des Champs-Elysées et mon film, Les Dragueurs (1959) ne sortait que dans une seule salle, qui était pleine. Il a été intrigué, il est rentré dans la salle, il a vu le film et en a dit beaucoup de bien par la suite dans une émission de télévision. Alors quand j'ai voulu faire Le renard jaune avec Bourvil, j'ai voulu prendre Maurice Chevalier parce que je voulais lui renvoyer l'ascenseur. Seulement ... les gens n'en voulaient plus. C'est encore l'histoire des ringards ...

Julien Morvan : Vous avez aussi été l'un des derniers à faire tourner des acteurs qui avaient une grande carrière, comme Alexandre Rignault ou Alice Tissot.

Jean-Pierre Mocky : Alice Tissot, oui ! (rires) Elle était folle de jalousie parce qu'elle détestait Pauline Carton, l'amie de Sacha Guitry qui tournait dans tous ses films. Dès qu'il y avait un truc marrant, c'était elle ou Marguerite Pierry. Et Marguerite était la concurrente de Alice Tissot ! Alors Alice ... (rires) ne tournait que dans des conneries. Je l'ai fait tourner une fois !



Tanguy Métrope : Et des gens comme Roger Legris ? Vous avez fait 8 films avec lui !

Jean-Pierre Mocky : Alors Roger Legris, son problème était assez grave : il était l'ami de Le Vigan, grand acteur que j'ai jamais pu faire tourner puisqu'il était exilé en Amérique du Sud. C'était un acteur formidable Roger Legris, je l'ai utilisé pas mal de fois, dans Les compagnons de la marguerite (1967), dans La grande lessive (!) (1969) parce que je l'aimais beaucoup seulement ... on s'est fâchés ! Il a tourné le sacristain dans Un drôle de paroissien (1963) et quand il a vu le film, il a trouvé que c'était sacrilège. Il est mort sans que je le sache, c'est une tristesse. Je l'avais vu dans Pépé le Moko (Duvivier, 1937), je l'avais trouvé formidable et après je guettais tous les films où il était.

Julien Morvan : Vous alliez chercher vos acteurs parce que vous les aviez vu au cinéma ?

Jean-Pierre Mocky : Oui ! Et Alexandre Rignault, c'était un très grand acteur. Je n'ai malheureusement fait qu'une petite scène avec lui, quand il regarde le derrière de Andréa Ferréol. Il avait eu de beaux rôles principaux.

Julien Morvan : Toujours dans les seconds rôles, deux acteurs que nous adorons ... Noël Roquevert et Jacques Dufilho !

Jean-Pierre Mocky : Ah oui, Dufilho je lui ai donné des premiers rôles ! Il a tourné beaucoup avec moi ...

Tanguy Métrope : De Funès avait d'ailleurs dit que c'était un acteur sous-exploité !

Jean-Pierre Mocky : Oui, oui mais je vais vous dire ... il avait des points communs avec Louis, il aurait pu faire sa carrière. Mais il était homosexuel et les gens, à l'époque, ne les appréciaient pas toujours, leur carrière était un peu freinée. Tissier aussi a été un peu freiné, c'était un acteur exceptionnel ! Je l'avais pris parce que j'avais tourné un film avec lui et Saturnin Fabre quand j'étais acteur ... mais le film n'est jamais sorti parce qu'il n'y avait pas de pellicule dans la caméra. Ça s'appelait Les nuits de Montmartre, on peut voir l'affiche d'ailleurs dans un livre qui va paraître. Il y a aussi La fleur de l'âge de Marcel Carné.



Julien Morvan : Vous avez aussi fait tourner Gabriello, dont on ne parle plus beaucoup aujourd'hui.

Jean-Pierre Mocky : Ah oui, Gabriello je l'ai fait tourner dans La bourse ou la vie (1965) ; c'est le seul film qui n'est pas dans mon coffret mais on l'aura l'année prochaine.

Julien Morvan : On a réussi à le voir grâce à la vidéo !

Jean-Pierre Mocky : Ah il existe en VHS ? Oui, Gabriello fait un des trois Robinhoude. C'était un personnage connu, il faisait le second d'Albert Préjean dans les Maigret.

Tanguy Métrope : Et vous avez mis des acteurs dans des situations atypiques, je pense à Jess Hahn dans Un linceul n'a pas de poche (1974) ... il est un diable en slip !

Jean-Pierre Mocky : Oui Jess, c'était un brave type, un américain exilé en France. Mais Noël Roquevert, malheureusement, je n'ai tourné que deux films avec lui comme acteur et un seul en tant que metteur en scène. Il était exceptionnel lui ... (rires) plein d'humour ! Pasquali aussi c'était un type marrant.

Julien Morvan : Les vedettes, vous en avez souvent parlé mais si vous deviez en garder un souvenir ... Francis Blanche par exemple ?

Jean-Pierre Mocky : Francis était un ami et un auteur, on a beaucoup travaillé ensemble. Quand je l'ai connu, il était mince comme vous. Il a eu un choc psychologique et il a grossi ... d'ailleurs dans sa carte d'identité des Compagnons de la marguerite, il a une photo de jeunesse. On était vraiment sur la même longueur d'onde, on a travaillé avec lui et Queneau sur plusieurs films. Mais quand on prend un second rôle, il faut que l'acteur vedette soit formidable sinon le second rôle écrase le premier. Aujourd'hui avec le misérabilisme des premiers rôles, on ne pourrait pas mettre Jean Dujardin face à Saturnin Fabre ou Jules Berry, il serait bouffé complètement ! (rires) Au fur et à mesure des années, même Michel Serrault n'aimait pas beaucoup que je lui mette des acteurs avec beaucoup de personnalité. Il n'en avait pas lui, il avait un physique banal. C'était un acteur formidable mais on ne lui a pas fait de scène avec Michel Simon dans L'ibis rouge (1975), il avait peur de la confrontation, il avait peur d'être écrasé. C'est pour ça qu'aujourd'hui, vous n'avez que très peu de seconds rôles.

Julien Morvan : Dans L'assassin habite au 21 (Clouzot, 1941), Larquey, Tissier et Roquevert écrasent presque Pierre Fresnay !

Jean-Pierre Mocky : Presque oui !

Tanguy Métrope : Vous aviez une réelle envie de faire tourner Michel Simon ?

Jean-Pierre Mocky : Oui mais je devais le faire tourner bien avant ! C'était le premier spectateur de Snobs ! en 1961 et je ne l'ai fait tourner que quatorze ans après. C'est un peu la même chose que Gabin, j'étais très copain avec lui et il devait tourner Le Témoin (1978), dix jours avant, il est mort. Je n'ai tourné qu'un seul film avec lui, comme acteur, Le rouge est mis (Grangier, 1957) où j'ai une petite scène. Coluche devait tourner Le miraculé (1987), vingt jours avant il est mort. Il parlait du film tous les jours dans son émission de radio. Là, je viens de tourner avec son fils Marius !

Julien Morvan : C'est vous qui avez offert ses plus beaux rôles à Jacqueline Maillan également.

Jean-Pierre Mocky : Oui ! Je suis fâché avec Delahousse, qui est un con fini, parce qu'il a fait une émission Un jour, un destin sur Jacqueline Maillan sans parler de mes films. Il a passé un peu du Miraculé pour Serrault et un bout d'émission sur Bourvil mais ... c'est un bandit, un fossoyeur, il gagne de l'argent avec les morts. Il a laissé entendre que Jacqueline Maillan était lesbienne ... elle n'a jamais été lesbienne, jamais ! C'est comme l'autre con de Cédric Kahn qui a fait La Môme [ndlr : il s'agit en réalité du réalisateur Olivier Dahan]. Il n'y a rien de vrai dans tout ça, moi j'étais très copain avec Edith Piaf. En même temps, avec ses gros yeux de vache, elle n'a rien à voir physiquement avec Piaf, qui était toute petite avec des petits yeux. J'appelle ça des profanateurs de sépultures. Maintenant je refuse de faire tout ce qu'il propose.

Tanguy Métrope : Juste un mot sur Bourvil et Fernandel ?

Jean-Pierre Mocky : Ils se détestaient. C'étaient des gens qui, humainement, étaient des braves types mais ils se détestaient. Un drôle de paroissien aurait dû être tourné par Fernandel mais son agent n'a pas voulu à cause des histoires de Don Camillo et de la religion. Je ne connaissais pas beaucoup Bourvil, qui avait fait beaucoup de conneries avec Berthomieu. Je lui ai remis le scénario, une heure après il m'a appelé pour me dire qu'il le faisait, gratuitement. Comme je connaissais Fufu, je l'ai appelé pour lui proposer le rôle du policier, ce qu'il a accepté, mais son con d'agent a demandé une fortune alors qu'il n'était pas encore très connu.

Julien Morvan : C'est un regret ?

Jean-Pierre Mocky : J'aurais dû en refaire un, j'ai eu un procès avec La Zizanie (Zidi, 1978) et Fechner, ils m'ont piqué mon sujet. On m'a donné beaucoup d'argent pour que je renonce à mon projet. Pour Fernandel, ça a été une amitié aussi pour La bourse et la vie. Marco Ferreri disait que c'était un de mes meilleurs films. Voyez la vie ... après ils ont tourné La cuisine au beurre (Grangier, 1963), ils se sont disputé pendant tout le tournage, ça n'a pas marché entre eux.

Tanguy Métrope : Vous auriez voulu les associer ?

Jean-Pierre Mocky : Non, non ... c'est des tempéraments similaires, ce sont deux doubles, des comiques dramatiques. Mais les mettre ensemble, c'était pas très valorisant. Le contraste avec De Funès était bien, dans La grande vadrouille (Oury, 1966), ils étaient bien ensemble ! J'aurais dû être le premier à les réunir mais le destin fait que ...

Julien Morvan : Un dernier acteur que nous aimons beaucoup, c'est Raymond Rouleau !

Jean-Pierre Mocky : Ah, Raymond, c'est toute une histoire ! C'était mon acteur favori quand j'étais figurant dans Dernier atout (Becker, 1942) qu'on avait tourné à Nice avec Pierre Renoir, Mireille Balin et Georges Rollin, qui était un type pas mal aussi ... plus personne ne parle de lui, il était gentil comme tout. On avait mis Raymond Rouleau, qui était petit, sur une petite estrade en bois pour qu'il soit aussi grand que Mireille Balin. Il est devenu mon idole, je le trouvais formidable. Je l'avais abordé quand j'étais figurant et il était très content que je connaisse tous ses films. Je l'ai retrouvé en 1952 lorsqu'il montait Thé et sympathie avec Ingrid Bergman. Après, en 1964, Jean-Louis Barrault m'a suggéré Raymond Rouleau pour jouer le maire dans La cité de l'indicible peur.



Julien Morvan : Une question triviale pour terminer ... si vous ne deviez garder qu'un seul film du cinéma français ?

Jean-Pierre Mocky : C'est à dire qu'il y en a plein ! J'aime tous les films français entre 1930 et 1960 ... Pépé le Moko, La rue sans joie (Hugon, 1938). J'aime les réalisateurs comme Maurice Tourneur, Fritz Lang, Pierre Chenal que j'aimais beaucoup, j'étais très copain avec lui.

Julien Morvan : On n'en parle plus beaucoup hélas.

Jean-Pierre Mocky : J'ai failli tourner un film avec lui en Amérique du Sud mais il a pris Maurice Ronet, ça s'appelait Section des disparus (1956). Je devais jouer le rôle mais c'est Maurice qui est parti car moi je tournais un autre film. Il a fait des films formidables ... Crime et Châtiment (1935). Moi, si vous voulez, le film que je préfère, c'est un film japonais. Les visiteurs du soir (Carné, 1942) aussi c'est formidable ! Et j'ai tourné un film avec Johnny Hallyday, qui a disparu, parce qu'il l'a acheté pour qu'on ne connaisse pas son âge ! C'est Dossier 1413 (Rode, 1962), je vous le recommande si vous le trouvez ! Il a 75 ans lui, mais il ne le dit pas. A chaque fois je me marre ...

Jean-Pierre Mocky se lève, il doit partir manger quelque part dans Paris. Pendant notre entretien, il a reçu plusieurs coups de téléphone, joué avec son chien, marché de long en large, évoqué près de huit décennies de cinéma entre souvenirs, carrière et amis. Nous sommes restés assis dans le seul canapé de cette grande pièce vide à l'écouter, à poser quelques questions. Nous sommes à peine levés qu'il est déjà sur le départ, en mouvement permanent, toujours courtois, toujours pressé. Nos 25 ans respectifs nous paraissent presque lourds à porter face à ce diable d'homme qui n'accuse ses 80 ans que parce qu'il entend encore en vivre vingt autres. A toute vitesse !


Par Julien Morvan et Tanguy Métrope,
Paris, le 26 janvier 2014


mercredi 15 janvier 2014

Entretien avec Hubert de Lapparent (1919)

A 94 ans, Hubert de Lapparent apparaît comme un témoin incontournable de l'âge d'or du Cinéma Français. Acteur de second plan au cinéma, enchaînant les silhouettes et les rôles aux côtés des plus grands, sous la houlette des meilleurs réalisateurs de son temps ; récurrent des séries télévisées des années 1970 et nom respecté du théâtre des années 1960, ce fils de grande famille passé par la Résistance et devenu comédien a accepté, avec la gentillesse qui caractérise les artistes les plus simples, d'évoquer avec nous son parcours, ses rencontres, ses souvenirs. S'il ne voit plus depuis plusieurs années, sa mémoire est restée intacte et c'est avec passion, à une vitesse prodigieuse, qu'il a bien voulu répondre à nos questions.



Hubert de Lapparent : Je suis né à Strasbourg, en 1919. Les Allemands avaient fait dans la ville une grande université et quand l'Alsace a été récupérée, les Français ont voulu créer l'équivalent. C'est Charléty qui a été nommé le premier recteur de Strasbourg et il a choisi pour les différents postes importants des scientifiques et des littéraires, dont mon père. Mon père était le fils du secrétaire perpétuel de l'Académie des Sciences et commençait à être reconnu dans son métier de minéralogiste. Ma mère est arrivée à Strasbourg deux mois avant ma naissance. J'ai été le premier garçon français né à Strasbourg : à l'époque on ne disait pas "garçon français" mais "vous êtes de l'intérieur". L'époque était très différente, nous n'étions pas des vrais alsaciens. On ne parlait pas la langue, cette langue que j'ai retrouvé de l'autre côté du Rhin pendant la guerre quand j'étais engagé dans la 1ère armée.

Julien Morvan : Vous avez donc grandi à Strasbourg dans les années 1920 et 1930. Aviez vous déjà des rêves artistiques ou étiez vous destiné à suivre une carrière comme votre père ?

HdL : Exactement. Nous étions destinés en principe à avoir des carrières scientifiques, nous étions ce que nous appellerions aujourd'hui des intellectuels. Mais ... j'étais paresseux ! (rires) Je ne faisais que les choses qui m'intéressaient, comme la littérature ou la chimie, dans lesquelles j'avais des prix. Mais je ratais mon baccalauréat sans cesse alors mes parents m'ont demandé ce que je voulais faire. J'avais fait du théâtre et de la peinture, mais comme les beaux-arts leur semblaient difficiles, ils m'ont inscrit au conservatoire de Strasbourg. Ce n'était pas une envie mais c'était une chose qui m'amusait.

Le Conservatoire de Strasbourg dans les années 1920.


JM : Alliez vous, à cette époque, au cinéma ou au théâtre ?

HdL : A Strasbourg on allait au cinéma naturellement mais nous n'allions pas beaucoup au théâtre. Mais j'ai eu l'occasion de voir deux ou trois pièces dont Volpone avec Charles Dullin et j'ai trouvé ça formidable. A Strasbourg, Charléty avait inventé les Cours Populaire de Langue Française où des amateurs montaient des pièces tous les ans pour que les Alsaciens apprennent le théâtre français et mon père a été un des metteurs en scène importants, parce qu'il aimait le théâtre. Alors moi j'ai commencé à jouer aux Cours Populaires. J'ai fait également du théâtre au lycée où les jésuites avaient créé un cours. Quand on m'a demandé ce que je savais faire, j'ai répondu : du théâtre et dessiner. Alors j'ai fait du théâtre !

JM : Votre passion pour la comédie, c'est avant tout le théâtre, plus que le cinéma et la télévision ...

HdL : De toute façon, tous les comédiens de mon époque, c'était le théâtre ! On faisait du cinéma ensuite. Alors aux débuts de la télévision, quand c'était en direct, ils appelaient uniquement les acteurs de théâtre capables de jouer du début jusqu'à la fin d'une pièce.

Charles Dullin dans Volpone fut un des premiers grands souvenirs de
théâtre de Hubert de Lapparent.
JM : Vous étiez jeune homme dans les années 1930. Étiez vous préoccupé par tous les grands événements internationaux ou nationaux, les bouleversements politiques ?

HdL : Nous étions plus intéressés par les mouvements littéraires, artistiques. Nous avons vécu la montée d'Hitler bien entendu mais nous n'étions pas politisés. Ils l'étaient beaucoup plus dans les classes populaires, moi j'appartenais aux classes dirigeantes. Il y avait des gens qui ça intéressait bien sûr ... vers 1936, je me souviens être allé avec mes jeunes frères à une réunion des jeunesses socialistes. Je les ai trouvé sympa ... mais ça m'a embêté ! Je n'étais inscris à rien.

JM : Je vous posais la question car, né en 1919, vous avez eu 20 ans l'année où s'est déclenchée la Seconde Guerre Mondiale.

HdL : 1939 n'est pas un bon souvenir. Mais j'étais au conservatoire, ça marchait bien et j'ai été engagé à Radio Luxembourg pour participer à quelques émissions. C'est comme ça que j'ai connu Blaise Cendrars d'ailleurs parce qu'ils avaient commencé à faire l'enregistrement d'une de ses œuvres qui s'appelait L'aurore.

JM : Vous nous aviez dit également avoir participé à la Résistance.

HdL : J'ai fait partie de l'armée secrète. J'habitais Albi à ce moment là parce que j'y avais fait un peu de minéralogie et j'avais rencontré des gens sympas de l'armée secrète qui m'avaient dit qu'ils viendraient me chercher si besoin. Et effectivement, un jour ils sont arrivés. Je suis rentré dans un groupe mobile républicain, des sortes de gendarmes passés à la Résistance [à ne pas confondre avec les GMR, force de répression de Vichy, ndlr]. C'était totalement apolitique. Quand la Libération est arrivée, je suis passé à la 1ère armée. C'était l'Allemagne que je voulais abattre.

JM : Avez vous, pendant cette période d'avant-guerre, puis d'Occupation, tissez des liens avec des gens qui ont pu compter dans votre métier d'acteur ?

HdL : Pas du tout. Encore qu'un moment, la Radio Française était réfugiée à Marseille et quelqu'un m'a dit que je devrais aller y faire un essai. La première émission s'est très mal passée car je me suis retrouvé entouré de gens beaucoup plus professionnels que moi et j'ai paniqué.


~ Débuts au cinéma et au théâtre ~




HdL : Il y a eu la fondation du Centre Dramatique de l'Est à Colmar. J'étais élève du directeur de l'époque, Roland Piétri, qui m'a emmené avec lui. Puis je suis revenu à Paris où j'ai joué Les bas-fonds de Gorki. Petit à petit, je me suis mis à faire des choses un peu plus importantes.

JM : Comment êtes vous arrivé dans la distribution de Manon (Clouzot, 1948) ? A-t-on été vous chercher ou était-ce une initiative personnelle ?

HdL : C'était moi ! Il se trouve que le producteur de Clouzot, Paul-Edmond Decharme, avait réalisé une traversée du Sahara dans un autobus où se trouvait mon père, qui partait faire de la géologie du côté de Tamanrasset. Il réalisa par la suite une interview de mon père, qui était devenu quelqu'un de connu, pour une radio, à Strasbourg. Au lendemain de la guerre, Decharme est devenu producteur de cinéma et j'ai demandé à mon père, qui était au soir de sa vie, une lettre de recommandation. J'y suis allé et Clouzot m'a dit qu'il connaissait mon père, qu'il avait assisté à plusieurs conférences et qu'il était un merveilleux conférencier ! On m'a donc trouvé un petit rôle dans Manon.

JM : D'emblée, vous avez donc eu un bon contact avec ce metteur en scène exigeant.

HdL : J'ai toujours eu un bon contact avec Henri-Georges Clouzot et pourtant il ne l'a pas eu avec beaucoup de gens. C'était un très grand cinéaste, un personnage très curieux. Dans La Vérité (1960), il y avait une atmosphère invraisemblable : il était charmant avec certains et odieux avec d'autres. Il a fait pleurer une actrice qui jouait un des témoins, il l'a emmerdé, emmerdé ... ça a été insensé !

JM : On a à peu près la même anecdote avec Brigitte Bardot ...

HdL : Oui, Brigitte Bardot était gentille, pas embêtante. Je n'avais pas de vrais rapports avec elle puisque je n'avais pas un grand rôle. Je faisais l'huissier, ce n'était pas grand chose mais j'étais là tous les jours. Je n'ai jamais eu à me plaindre même si c'était souvent difficile financièrement. J'en ai bavé à certains moments mais je n'avais, dans mon enfance, jamais su ce que c'était que de bouffer de la vache enragée. J'appartenais à des familles où on ne savait pas ce que c'était. Donc pour moi c'étaient des choses qui allaient passer ... il suffisait que j'aille mieux, que j'aie des rôles plus importants.

JM : Vous n'avez jamais été malheureux dans votre métier ?

HdL : Non. Comme tous les acteurs qui débutent, j'ai pris des paires de claques, comme tout le monde. Mais dans l'ensemble, quand je jouais ou je tournais, j'étais bien. Par exemple, quand j'ai tourné Gervaise (Clément, 1956), j'étais passé à la production avec mon agent - qui n'était pas épatant mais bon ... - et j'avais fait des essais de photos. Un jour, il m'appelle et me dit que j'ai rendez-vous avec René Clément, chez lui. Je savais que c'était L'Assommoir, je l'ai lu dans la nuit et quand je suis arrivé chez Clément, je connaissais mon personnage ! Et Clément m'a distribué !



JM : Comment s'est passé le tournage ?

HdL : Très bien ! A la fin du tournage, Clément et Jean Aurenche [ndlr : le scénariste du film] m'ont dit : "Vous passez très bien. Si on avait su, on aurait agrandi votre rôle !" Mais j'avais un contrat de dix semaines, je l'ai dépassé.

JM : Vous étiez à l'écran le mari de Jany Holt, qui avait connu une jolie carrière avant-guerre.

HdL : Oui, c'est ça. J'étais naturellement beaucoup plus jeune qu'elle mais ça s'est très bien passé avec elle. Elle ne tournait plus beaucoup à cette époque pourtant elle était sympa, je m'entendais très bien avec elle. Le tournage de Gervaise fut très agréable : je connaissais déjà François Périer, on s'était rencontré dans d'autres films. C'était une ambiance de copains. Je me rappelle d'un jour où Jacques Hilling dit à René Clément "Vous ne venez jamais nous voir au théâtre !" et Clément de lui répondre "Mais mon pauvre vieux, si je ne venais pas au théâtre, vous ne seriez pas là, Lapparent non plus !". Il ne venait pas dans les loges après, c'est tout.

JM : C'est intéressant de voir que Clément pouvait recruter des gens qu'il avait vu au théâtre. Aujourd'hui, un autre metteur en scène réputé, Bertrand Tavernier, affirme préférer voir des acteurs sur scène plutôt que de passer par des directeurs de castings pour ses films.

HdL : Oui ! D'ailleurs Tavernier me connaissait mais ne m'a jamais distribué. De même, il y avait un gars que je connaissais très bien, c'était Alain Resnais. Je l'ai vu souvent, c'est un curieux personnage. Il ne m'a jamais fait tourner en me disant "J'avais pas de rôles pour toi, tu es un personnage particulier avec une voix particulière."

JM : Est-ce que vous considérez que vous avez créé un personnage dans le cinéma français, avec des allures, intonations et signes particuliers ? Par exemple, Jacques Marin avait un vrai personnage la plupart du temps, souvent de français moyen, un peu râleur.

HdL : Non. Peu importe que le rôle soit sympathique ou antipathique, ce qui m'intéressait c'était de créer un personnage. J'aimais jouer ! Physiquement, vocalement, intellectuellement, je n'étais pas un acteur qui pouvait se choisir une formule. J'ai joué beaucoup de rôles, et différents. Et c'est quand même au théâtre et à la télévision que j'ai fait les choses les plus intéressantes. A la radio également, beaucoup de choses très intéressantes !

JM : De fait, vos rôles au cinéma étaient un peu secondaires ?

HdL : Oui, à part Gervaise, à part L'eau vive (Villiers, 1958) et le film de Jacques Becker où j'avais un rôle convenable [ndlr : Les aventures d'Arsène Lupin, 1957]. Le cinéma j'aimais bien ... et puis je gagnais bien ! C'était mieux payé au cinéma qu'à la télévision. J'ai tourné avec Becker, Delannoy, Renoir ...

JM : Et Jean-Paul Le Chanois, qui semblait vous apprécier puisque vous avez tourné plusieurs fois avec lui.

HdL : Il était très communiste et avait tourné un film au lendemain de la guerre sur le communisme pendant la guerre, pas très bon d'ailleurs. Je l'avais connu quand j'étais au Centre Dramatique de l'Est, on avait été le voir quand il préparait un film et on avait laissé une photo. J'ai été convoqué pour ... Sans laisser d'adresse (Le Chanois, 1952) où je jouais le rôle d'un balayeur à l'hôpital. Je n'ai jamais eu à me plaindre vous savez, même quand j'ai tourné avec Gabin. Parce que Gabin, c'était quand même une espèce de chieur.

JM : C'est un peu sa réputation aujourd'hui ...

HdL : Oui mais il fallait lui foutre la paix ! Il fallait être à l'heure, savoir son texte, pas l'embêter. A partir de ce moment là il devenait agréable. Dans En cas de malheur (Autant-Lara, 1958), j'avais un tout petit rôle mais Gabin s'est tourné vers Autant-Lara et lui a dit "Mais tu pourrais faire un gros plan de Lapparent !". Il a dit "Oui, d'accord". Fernandel, lui, ne voulait pas que l'on fasse des gros plans des autres.



JM : Des petits rôles mais qui restent parfois associés à des classiques du cinéma français ! Par exemple, tout le monde se souvient de votre apparition dans La traversée de Paris (Autant-Lara, 1956).

HdL : C'est Aurenche qui m'a imposé sur ce film ! Il a dit à Autant-Lara "On a découvert un acteur dans Gervaise, démerdes toi pour le distribuer dans La Traversée de Paris !". Il n'y avait pas grand chose mais j'ai été engagé pour jouer dans les résistants arrêtés. On me mettait toujours au premier rang ! Je sentais que Autant-Lara me surveillait ! Et un jour, il me dit "C'est à toi !". Il m'a expliqué la scène, j'ai joué et Gabin est resté, il était là pour la voir ! C'était une scène violente.

JM : Et Claude Autant-Lara vous a engagé de nouveau par la suite.

HdL : Oui. J'ai eu une bonne relation avec lui, c'était également un curieux personnage. Un homme de gauche passé à l'extrême droite. Moi, je m'entendais très bien avec lui mais je vais vous dire ... je me suis toujours très bien entendu avec tout le monde !


~ Une carrière auprès des plus grands ~



HdL : Je n'essayais pas d'emmerder les gens, je ne faisais pas le malin. Par exemple, la façon dont j'ai connu Renoir ... c'est invraisemblable. Je venais de tourner une petite scène dans un court-métrage et la production me dit qu'elle fait des essais pour Le carrosse d'or. On me présente à Renoir qui me donne un texte à apprendre. Au bout d'un moment, il me demande si je suis prêt et tourne la scène ... sauf qu'il la tourne vraiment, ce n'était pas un essai ! Hélas, la production française a fait faillite et tout la partie française a été faite par des anglais. Mais Renoir a quand même insisté pour que je double mon personnage. Il m'a engagé de nouveau après pour Elena et les hommes (1956). C'était un metteur en scène qui vous laissait aller en disant "C'est très bien mais on va peut-être en faire une autre". Il donnait des idées et décidait finalement aux rushes. Mais j'ai aussi tourné des nanars ... du genre Mon curé chez les pauvres !

JM : Justement, je voulais vous parler de ce film car il est réalisé par un grand metteur en scène d'avant-guerre, Henri Diamant-Berger.

HdL : On tournait en quinze jours. Le chef opérateur ne faisait pas d'effets de lumière mais tous les comédiens étaient bons. C'était un très bon metteur en scène, qui connaissait les comédiens. On allait très vite, c'est pour ça qu'il fallait des bons comédiens, pour ne pas multiplier les prises. Diamant-Berger était très connu dans le milieu, on savait que ça tenait le coup.

JM : Dans les années 1960, le cinéma français a produit des films sur l'Occupation et la Résistance, auxquels vous avez pu participer. Quel point de vue pouvait être le vôtre, vous qui aviez participé de près aux événements réels ?

HdL : Ça n'avait rien à voir avec mon expérience. Dans Le jour et l'heure (Clément, 1963), j'avais un petit rôle que Clément m'avait proposé. J'ai dit oui puisque c'était lui qui m'avait donné mon premier vrai rôle au cinéma. Mais le rôle n'était pas si facile que ça ! L'armée des ombres (Melville, 1969), c'était très différent. Je jouais le rôle d'un instituteur arrêté par les Allemands.

JM : Un cinéaste qui, comme Clouzot, a une réputation contrastée aujourd'hui.

HdL : Oui mais il n'était pas désagréable. Mais le film a été une escroquerie pour des gens comme moi car c'est tout juste si on nous a payé. On nous a dit "Ne vous inquiétez pas, Melville a un nouveau film !". Ce qu'on m'a proposé après était tellement inintéressant que j'ai refusé. Melville n'avait qu'à me distribuer un vrai rôle.

JM : La même année, vous retrouvez Autant-Lara pour Les patates (1969).

HdL : Oui. Nous avions tourné au mois d'août dans les Ardennes et le temps était glacial ! Mais nous avions un petit hôtel très agréable où on bouffait bien ! Surtout Pierre Perret et moi d'ailleurs (rires). Voyez, je n'ai aucun mauvais souvenir de tournage.

JM : Même quand les rôles ne vous intéressaient pas, tel Fantômas contre Scotland-Yard (1967) ?

HdL : Sur Fantômas, c'était trois fois rien mais Hunebelle voulait absolument m'avoir, alors on m'a très bien payé. Il m'avait vu dans d'autres films et il voulait Lapparent ! (rires) Avec Jean-Roger Caussimon, j'avais fait plein de choses très intéressantes, à la radio notamment, d'égal à égal.

JM : Vous jouez aussi face à Bourvil dans un petit rôle pour Trois enfants dans le désordre (Joannon, 1966).

HdL : Oui ... mais ça n'a pas marché avec Bourvil. Il m'emmerde moi, Bourvil. Pour moi, ce n'est pas un acteur.

JM : C'est intéressant d'avoir ce point de vue, assez rare. Vous devez être une des seules personnes en France à ne pas apprécier Bourvil ! (rires)



HdL : C'était un faux gentil. Je jouais en même temps Le goûter des généraux de Boris Vian au théâtre avec Paul Crochet. Je connaissais bien Paul, il était merveilleux. Je l'ai dit à Bourvil en lui proposant de venir nous voir puisqu'il venait de finir un film avec Paul, dans les Vosges [ndlrLes grandes gueules, Enrico 1965]. Il est venu dans la loge nous voir après la pièce pour parler avec Paul Crochet. Il n'a pas dit un seul mot sur la pièce ... Pas un mot ! D'ailleurs, il avait dit un jour "Molière m'emmerde". Moi je ne trouve pas que Bourvil soit un comédien formidable. C'était pas un acteur de théâtre mais un acteur d'opérette.

JM : La même année, vous retrouvez aussi un grand acteur que vous aimez, Bernard Blier, dans Un idiot à Paris (Korber, 1967).

HdL : Ah ... alors Bernard Blier, c'est tout à fait différent. Bernard Blier, c'était un sale con, une peau de vache. Il était méchant ... mais pas avec moi. J'ai fait une tournée avec lui, Le Nombril (de Jean Anouilh) en 1983. La plupart des acteurs ne voulait pas faire la tournée parce que Blier avait été odieux avec eux. C'était un rôle très important et il insista pour m'avoir. Je n'aimais pas trop les tournées et il a commencé à m'emmerder, comme tout le monde. Il était emmerdant comme la pluie au théâtre alors qu'au cinéma, ça s'était toujours très bien passé. Finalement, devant les menaces de la production, il a été gentil avec moi. Mais il était odieux avec les filles qui avaient des rôles secondaires. Je ne comprends pas que cet acteur, qui a fait une si belle carrière, était si méchant avec des gens comme ça. C'était un formidable comédien, c'était très agréable de jouer avec lui.

JM : J'aimerais revenir sur L'eau vive où vous trouvez un rôle important.

HdL : Je me souviens que ce film avait obtenu un Golden Globe [ndlr : Golden Globe du meilleur film en langue étrangère] ! J'ai tourné trois mois dans ce film, c'était un très beau film. J'étais prévu pour un petit rôle de notaire et lorsque je me suis rendu aux essais, Jean Giono, le scénariste et dialoguiste, qui venait de voir Gervaise, a insisté pour me faire jouer un rôle plus important. Je n'ai pas été copain avec le metteur en scène du film, il m'en a toujours voulu que je sois imposé par Giono.

JM : Finalement, Gervaise a été un tremplin important dans votre carrière.

HdL : Il m'a permis de faire d'autres films ! Je me souviens de Suzy Delair ... j'étais juste à côté d'elle dans une scène et de l'autre côté, il y avait Maria Schell. Or ... elles se détestaient ! Elles me prenaient à témoin, j'étais entre les deux.

JM : Leur animosité a pu servir le film alors. Car elles se détestent à l'écran !

HdL : Mais Clément l'avait prise un peu pour ça ! Dans la scène du lavoir, elles se tapaient vraiment dessus, elles se détestaient. Suzy Delair, c'est une très bonne comédienne. C'était un curieux personnage vous savez, elle était mal avec toutes les habilleuses, avec tout le monde. Mais avec moi et les autres comédiens, elle était très bien. En général, les bons hommes, elle était bien avec eux !



~ Une autre carrière et la postérité ~

HdL : Ça m'épate que vous m'appeliez aujourd'hui, car je n'ai rien fait pour cette reconnaissance.

JM : Je crois que la gentillesse avec laquelle vous nous parlez aujourd'hui se ressent dans vos rôles. J'ai 25 ans et je vous connais depuis longtemps. Et je ne suis pas le seul. Vous restez aujourd'hui un comédien populaire et très apprécié des cinéphiles.

HdL : Le public qui vient au théâtre, on ne le connait pas. Les gens n'osent pas trop venir nous voir à la fin de la pièce. Un peu plus dans les festivals, on rencontre les gens dans la rue, dans la journée. Mais c'est à peu près tout ...

JM : Vous avez pris votre retraite théâtrale et télévisée à la fin des années 1980. Est-ce que le manque s'est fait sentir ou étiez vous heureux d'accéder à une retraite méritée ?

HdL : Ça m'a manqué mais j'ai pu continuer à faire de la peinture et de la sculpture, je me suis complètement investi dans ces autres passions. J'ai fait beaucoup de sculpture, j'ai exposé dans les grands salons d'art contemporain, Réalité Nouvelle notamment. J'ai travaillé avec une galerie, en Belgique, au Luxembourg ; je n'ai jamais arrêté de travailler. Ma dernière sculpture date de 2006 et ma dernière exposition de 2003. A partir du moment où j'ai vraiment perdu la vue, j'ai stoppé. (Un silence) Je dois dire que si je fais le bilan de ma vie, toutes les époque j'ai traversé, je suis quand même un chanceux de la vie ! Je vous remercie de votre démarche, je n'imaginais que j'avais pu laisser un souvenir comme ça. Vous remercierez de ma part tous les gens qui pensent encore à moi.

JM : Vous n'avez pas fait tout ça pour rien, je vous l'assure.

HdL : C'est ça qui est important je pense. Quand on vit, il faut, autant que possible, laisser quelque chose.

Lundi 13 janvier 2014, Paris

samedi 11 janvier 2014

Bon anniversaire à ... Jacqueline Maillan (1923-1992)



Dans l'excellente bande-annonce d'époque de Papy fait de la résistance (Poiré, 1983), quand il est question d'évoquer celle qui incarne avec talent Madame Bourdelle, la voix-off de Christian Clavier évoque "la toujours simple ... Jacqueline Maillan". C'est peu dire que cette grande actrice avait des airs distingués qui lui servirent à composer des prestations bourgeoises dans Ah ! les belles bacchantes ! (Loubignac, 1954), Archimède le clochard (Grangier, 1959), Les héritiers (Laviron, 1960) ou Pouic-Pouic (Girault, 1963). Elle trouva, grâce à Jean-Pierre Mocky, de nouveaux rôles plus noirs à la fin de sa carrière : de la voisine épieuse de Y'a-t-il un français dans la salle ? (1982) à Une nuit à l'Assemblée Nationale (1988), Les saisons du plaisir (1988) et Ville à vendre (1992), son dernier rôle à l'écran quelques semaines avant sa mort brutale. Ses plus grands succès furent sur scène, où sa drôlerie et sa fantaisie enchantèrent des milliers de spectateurs.

Née le 11 janvier 1923, Jacqueline Maillan aurait fêté ses 91 ans aujourd'hui !

mardi 7 janvier 2014

Bon anniversaire à ... Robert Le Vigan (1900-1972)

Marcel L'Herbier déclara en 1978 à propos de celui qui fut son interprète dans La Citadelle du silence (1937) qu'il n'avait "jamais vu un visage d'acteur aussi moderne qui, plus que le sien, parvienne à se faire masque pour exprimer par ses traits mêmes le caractère typologique de ce qu'il disait ou faisait dans son rôle." A propos des Bas-fonds (1936), Jean Renoir ajouta la même année que "le public était ravi : Shakespeare et Gorki dans un même rêve, je devrais dire hallucination, un festin dans un ciel étoilé."



Robert Le Vigan reste inoubliable dans la plupart de ses rôles ; son destin tragique en fait un maudit du cinéma français. Pourtant, preuve que le talent prime sur le reste pour la postérité, la plupart des cinéphiles préfère se souvenir du docteur du Chien jaune (Tarride, 1932), du saboteur du Tunnel (Bernhardt, 1933), du marchand de tissus de Madame Bovary (Renoir, 1933), du provocateur de La Bandera (Duvivier, 1935). Le Vigan considérait, à juste titre, qu'il n'avait pas les rôles à la mesure de son talent, toujours second. Toutefois, ses compositions de personnages sur le fil, toujours prêts à sombrer dans la folie, restent dans les mémoires : le comte de L'homme de nulle part (Chenal, 1937), le "passe-muraille" des Disparus de Saint-Agil (Christian-Jaque, 1938), le peintre désenchanté du Quai des brumes (Carné, 1938), le maître-chanteur du Dernier tournant (Chenal, 1939), l'instituteur de L'assassinat du Père Noël (Christian-Jaque, 1941) ou le Goupi-Tonkin de Goupi Mains-Rouges (Becker, 1943). Il devait même être un des Enfants du Paradis (Carné, 1944).

Robert Le Vigan est né dans les tous premiers jours du XXe siècle et a marqué de son immense talent la première moitié de celui-ci sur les grands écrans du cinéma français. Il aurait fêté aujourd'hui ses 113 ans !

lundi 6 janvier 2014

Bon anniversaire à ... Andréa Ferréol (1947-...)

J'ai rencontré Andréa Ferréol pour la première fois dans Les galettes de Pont-Aven (Seria, 1975) ! C'est dire l'image que j'ai pu avoir de cette merveilleuse actrice pendant quelques temps. Je n'aurais osé imaginer quelle carrière se cachait derrière se personnage grivois, très amusant du reste.



Quelle carrière dans les années 1970 ! Des rôles La Scoumoune (Giovanni, 1972) ou Elle court, elle court la banlieue (Pirès, 1973) avant l'explosion dans La grande bouffe (Ferreri, 1973). Andréa Ferréol se refait cantatrice dans L'incorrigible (Broca, 1975) face à un Belmondo intenable, retourne pour Joël Seria (Marie Poupée, 1976) et participe à la Palme d'Or de Volker Schlöndorff pour Le Tambour (1979). Elle devient l'actrice des plus grands metteurs en scène : Enrico (L'emprunte des géants, 1980), Wajda (Le chef d'orchestre, 1980), Truffaut (Le dernier métro, 1980), Mocky (Y'a-t-il un français dans la salle ?, 1982), Scola (La nuit de Varennes, 1982), Boisset (Le prix du danger, 1983). Depuis, si elle n'a jamais cessé de tourner, les rôles marquants se sont fait plus rares.

C'est un grand plaisir de souhaiter aujourd'hui un très joyeux anniversaire à Andréa Ferréol !

samedi 4 janvier 2014

"Y'A-T-IL UN FRANÇAIS DANS LA SALLE ?" (de Jean-Pierre Mocky, 1982)



En quelques mots : Le puissant président d'un parti politique apprend la mort d'un vieil oncle, qui l'avait élevé. Face à ce suicide imprévu, il cherche à récupérer une lettre du défunt qui pourrait révéler son lourd passé pendant la Seconde Guerre Mondiale. Mais il n'est pas seul à s'y intéresser : un policier pervers et un journaliste en quête de scoop épient le politicien.

Quand la France salace et corrompue de Frédéric Dard rencontre l'univers explosif de Jean-Pierre Mocky, on peut prévoir des embolies. L'évidence de cette rencontre est presque tardive en 1982, qu'importe puisque le résultat n'en fini de pas déconcerter. J'ai revu ce film hier soir avec la petite appréhension de ne pas être aussi enthousiasmé que la première fois ... idée vite dissipée dès lors que l'infernale machine de destruction se met en marche. Certes, les grivoiseries ne sont pas toutes du plus bon effet dans les premières séquences et gâchent presque un film qui pourrait faire référence en matière de drame politique. Mais Mocky sera toujours Mocky et on s'habitue à ces voix-off perverses, reflets très terre-à-terre des pensées de tous lors d'un enterrement, d'une entrevue ministérielle etc. Si cet ornement est une des pattes du metteur en scène, le principal est ailleurs : adapté d'un roman de Frédéric Dard (dont je connais très mal l'oeuvre, hélas), Y'a-t-il un français dans la salle ? s'inscrit dans la série des plus grandes réussites de Jean-Pierre Mocky en matière de jeu de massacre (avec L'ibis rouge ou A mort l'arbitre notamment). Là encore, personne n'est épargné, du cheminot idolâtre de Georges Marchais au président de parti politique corrompu en passant par la voisine épieuse, le journaliste fouille-merde, le flic pervers ou l'oncle geôlier. Avec les plus grands acteurs (Victor Lanoux, Jacqueline Maillan, Jean-François Stévenin, Jacques Dutronc, Andréa Ferréol, Dominique Lavanant, Emmanuelle Riva, Dominique Zardi, Michel Galabru ou Alexandre Rignault dans un de ses derniers rôles), Mocky filme une société à la dérive, pourrie, irrécupérable.



Le personnage interprété par Jacques Dufilho est tout à fait étonnant : maître chanteur séquestré depuis près de deux décennies dans la petite maison de l'oncle décédé, il est celui qui détient le secret (le brillant politique dénonça des juifs pendant la guerre) et fait office de bonne conscience qu'il faut nourrir. Presque fantasmé ou rêvé, ce personnage improbable permet à Victor Lanoux de se réveiller par une tirade miraculeuse dont l'écho résonne toujours depuis trente ans : "Bien que maître-chanteur professionnel, je reste citoyen français. Ce qui m'a frappé c'est que ... personne ne croit plus en rien. Je les écoute tous sur mon transistor. Au milieu des invectives de l'assemblée, je me suis brusquement demandé : y'a-t-il ... un français dans la salle ? Un seul ? Un vrai ? ... Votre bannière c'est la SOFRES, votre patrie c'est la télévision."

Pessimiste dans l'âme - à moins qu'il ne s'agisse d'une cruelle lucidité -, Jean-Pierre Mocky n'épargne pas ses personnages. Si le politique change de registre, avec un petit succès, ce n'est pas sans être puni de ses lâchetés : son monde s'écroule, sa conscience disparaît dans les flammes. "Pas d'autres victimes ?"

vendredi 3 janvier 2014

"LA CITÉ DE L'INDICIBLE PEUR" (de Jean-Pierre Mocky, 1964)



En quelques mots : Les inspecteurs Triquet et Virgus arrêtent à Paris un redoutable faux-monnayeur, lequel échappe de justesse à la guillotine en s'échappant. Les deux policiers se lancent à sa poursuite, chacun de leur côté. C'est ainsi que Triquet débarque dans la petite cité de Barges où règne un épouvantable malaise dans la population locale, harcelée par une bête mystérieuse.

Si je voulais être pompeux, et audacieux, je dirais que La Cité de l'indicible peur (titré La grande frousse à sa sortie en 1964, pour des raisons commerciales) est un mélange réussi des Contrebandiers de Moonfleet (Lang, 1955) et de L'assassinat du Père Noël (Christian-Jaque, 1941). Adapté du roman de Jean Rey, le sixième long métrage de Jean-Pierre Mocky s'inscrit dans la jolie tradition du cinéma fantastique français, où les personnages, plus que des monstres ou créatures de cauchemars, créent l'ambiance mystérieuse qui entoure l'intrigue. Mais fidèle à l'univers unique qu'il va mettre en place tout au long de cinq décennies de cinéma, Jean-Pierre Mocky ajoute à cette histoire, servie par un casting impressionnant, des touches d'absurdité comique, parfois même de burlesque, qui font du film un objet à part. On se perd volontairement à chercher où se situe l'intérêt : est-ce que la traque ? le destin des citoyens ? l'aventure de Triquet ? les découvertes à venir ? Une même séquence peut exploser de toutes ses fantaisies pour le plus grand plaisir du spectateur : des étonnements béats de Bourvil à la froideur rigide de Jean-Louis Barrault entouré d'une cohorte d'huissiers silencieux dans une mairie musée où le maire, souriant à outrance, ponctue ses phrases avec des "Quoi ?". Du pur Mocky !



Du reste, La cité de l'indicible peur est une autre dénonciation du conformisme petit-bourgeois provincial français. Le septième juré (Lautner, 1962) l'évoquait dramatiquement peu avant mais Jean-Pierre Mocky s'attache à n'épargner personne. Si les coupables principaux sont bien les petites élites locales (le maire, le secrétaire de mairie, le pharmacien etc.), les petites gens, d'ordinaire bien traitées, sont ici les mesquins et lâches colporteurs de ragots et autres légendes populaires, quitte à se grimer eux-mêmes en terrifiantes bêtes. Le seul épargné semble être le policier incarné par Bourvil, candide et bon enfant, qui ne veut arrêter personne et s'excuse de découvrir des morts. Pourtant, Mocky s'amuse à faire mentir cette image dans les derniers plans du film, quand un petit garçon se vante qu'il ne sera ni policier, ni voleur mais un honnête homme. Quand on a vu le comportement des honnêtes hommes tout au long du film, on se dit que le pessimisme du réalisateur insoumis n'a pas attendu les années 1970 pour éclore.



Le film, comme souvent chez Jean-Pierre Mocky, fut un échec cinglant à sa sortie - mais trouva une nouvelle carrière quelques années plus tard lors des ressorties. Il y a de quoi aujourd'hui s'extasier devant un tel casting, digne des ambitions du réalisateur à s'entourer des grandes vedettes de l'époque, accompagnées des meilleurs seconds rôles du cinéma français : autour d'un excellent Bourvil transfiguré, on retrouve Jean Poiret en policier en proie à des tics buccaux ; Jean-Louis Barrault, froid et énigmatique admirateur des légendes locales ; l'excellent Raymond Rouleau et ses "Quoi ?" à chaque phrase ; Marcel Pérès en flic parisien (dans un grand rôle, pour une fois !) ; Jacques Dufilho en hôte peureux et causant ; Francis Blanche en épieur cardiaque ; Victor Francen en médecin alcoolique obsédé par la calvitie ; Roger Legris en pharmacien peureux ; Dominique Zardi en agent ou Pasquali en chef de la police. On retrouve aussi la jolie Véronique Nordey, habituée des premiers films de Jean-Pierre Mocky.

jeudi 2 janvier 2014

Des nouvelles récentes du voyage dans le cinéma français de Bertrand Tavernier !

2014 sera-t-elle l'année des nouveautés ? Il faut croire que tous les ans, les premières journées de janvier sont propices à toutes les bonnes résolutions, tous les projets. Celui de réaliser pour L'âge d'or du Cinéma Français quelques entretiens et interviews me tient pourtant à cœur depuis plusieurs mois et les quelques contacts déjà réalisés sont plus qu'encourageants ! Voici pour l'heure des bonnes nouvelles d'un projet que Bertrand Tavernier porte en lui depuis longtemps, celui de réaliser - à l'instar du Voyage à travers le cinéma italien (1995)  de Martin Scorsese - un Voyage à travers le cinéma français. Je ne vous cacherai pas que j'ai tenté modestement d'emprunter les mêmes voies pour créer ce blog.

Je n'ai pas interviewé Bertrand Tavernier à proprement parler mais j'ai pu, à l'occasion d'une première de Quai d'Orsay (2013), lui poser la question de l'avancement de son projet. Voici sa réponse :

"Il va sans doute se concrétiser ! J'ai commencé, c'est signé avec Gaumont et Pathé mais j'ai perdu deux ans à attendre de ce côté là. Je pensais bêtement que l'idée de faire un film sur le cinéma français avec des gens qui avaient un catalogue énorme de films français serait facile, puisque cela valoriserait leur catalogue. Ils possèdent des films dont ils ne savent même pas qu'ils en ont les droits ! Mais bizarrement, je n'ai jamais réussi à rencontrer qui que ce soit pour expliquer le projet, avoir des rendez-vous ... Mais là brusquement, les gens de Gaumont et Pathé sont enthousiasmés donc ça va commencer à se faire !"

mercredi 1 janvier 2014

Bonne année 2014 !



Si vous aussi, tel Robert Le Vigan, êtes peut-être en train de vous prélasser dans un canapé, un verre à la main devant un grand film que vous adorez ... si vous êtes tout simplement à évoquer vos bonnes résolutions éphémères ... à tous les lecteurs fidèles ou occasionnels du blog ...

L'âge d'or du Cinéma Français vous souhaite une très bonne année 2014 !
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