En quelques mots : Le professeur Louis Delage règne en maître, et en icône, sur le service chirurgical de l'hôpital Bichat à Paris. Admiré des uns pour ses réussites dans la greffe de reins, méprisé des autres pour les mêmes raisons, il est sur le point d'entrer à l'Académie de Médecine. Quand une de ses patientes décède suite à une opération, il héberge quelques jours son jeune petit-fils Albert ; dans le même temps, il est confronté à la crise de vocation de son filleul qu'il tente de former.
Je ne sais pas de quelle réputation jouit ce film à l'heure actuelle et quelle fut sa réception à sa sortie ; on peut lire sur internet qu'il fut un grand succès dans les salles, en 1951. Il faut avouer d'emblée que l'intrigue ne présage pas un film à caractère passionnel, les plus directs ne se dérangeraient pas pour dire que ça à l'air chiant ! Un visionnage ne leur donne pas raison mais je me demande bien qui pourrait trouver plaisir à s'en faire un film culte, sinon un jeune médecin en herbe, un rien sûr de lui, aussi antipathique et arriviste que le poulain du Patron qu'incarne Pierre Fresnay. Les autres étudiants en médecine, plus honnêtes dans leur choix disciplinaire, verraient peut-être même dans ce film une insulte à ce que doit représenter un médecin - homme de science avant tout, opérant pour servir, pour sauver, plus que pour briller en société. Un grand patron évoque assez justement cette embourgeoisement négatif d'une partie des grands médecins parisiens, qui portent aussi bien le rouge sur leurs bistouris qu'à leur boutonnière, et qui se parent autant de leurs interventions que d'articles publiés dans des revues scientifiques. Peut-être cette critique acerbe de la bourgeoisie des années 1950 - offrant une scène de bacchanale assez déconcertante sur le sens qu'elle veut lui donner - est-elle un peu erronée aujourd'hui ; et de fait offre un film poussiéreux.
Toutefois, les scènes sont percutantes - à l'image de cette chasse aux voix dans un cimetière, sur les cendres encore chaudes d'un Académicien, de ce jeune médecin fougueux qui ne pense qu'à devenir patron à la place du patron, de cette femme délaissée constamment en représentation mais qui ne peut aller au théâtre. Le jeune filleul, appelé à devenir un grand médecin, remet en cause sa vocation : il se verrait mieux peintre, un peu bohème. On sourit jaune de constater qu'aujourd'hui cette volonté de sortir des rangs fait presque figure de sacerdoce pour la bonne conscience d'une grande partie de la bourgeoisie française.
On regrette presque le personnage de Pierre Fresnay, parvenu mais désireux d'adopter des illusions plus nobiliaires que bourgeoises, dynastiques et ancrées dans des valeurs de classe - peut-être méprisables, mais honnêtes ; rôle à première vue étonnant d'un chirurgien brillant mais cynique pour l'acteur habitué à des compositions unilatérales. Pourtant, à bien y regarder, ce grand patron est honnête dans le rôle que lui impose la société et ses quelques instants désabusés sont peut-être des tentatives avortées de rébellion. Le scénario de Pierre Véry et Yves Ciampi (ce dernier se charge également de la mise en scène, très plate) est donc passionnant, quoique manquant un peu de dynamisme, mais fait figure d'arrêt sur image. Les films trop ancrés dans une époque vieillissent, à mon sens, souvent très mal : c'est le cas de La Marseillaise (Renoir, 1938) ou d'Un monde sans pitié (Rochant, 1989) plus récemment. C'est presque un documentaire, à l'instar de ces gros plans médicaux inutiles lors d'une opération du rein. Les sociologues seront convaincus, les historiens feront la fine bouche et les cinéphiles passeront sans se détourner. Hélas ...
A noter un petit rôle charmant pour la jeune Judith Magre qui débutait sa carrière au cinéma.
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