samedi 1 septembre 2012

"LE CORBEAU" (de Henri-Georges Clouzot, 1943)


En quelques mots : Rémy Germain, médecin d'une petite ville de province, est la victime calomnieuse d'un corbeau qui, dans une série de lettres aux habitants, l'accuse d'adultère et de pratiquer l'avortement clandestin. Quand un malade, atteint d'un cancer, reçoit une lettre et se suicide, le climat de tension dégénère et la foule se cherche un coupable.

Le Corbeau de Henri-Georges Clouzot inaugure ma série de films étiquetée "Chef d’œuvre". Bien sûr, tout a été dit sur ce film majeur du cinéma français, sur son climat lourd, sur son contexte de production et sur les répercussions qui suivirent. Réalisé en pleine Occupation et produit par la Continental Films (dirigée par les Allemands), le film fut malmené par les mouvances catholiques qui jugeaient le héros trop ambigüe (d'autant plus qu'il se déclare athée et qu'il ne va pas à la messe), et par les communistes qui voyaient dans cette représentation de la société française une volonté de salir le pays et ses chers citoyens. Clouzot fut trainé dans la boue et frappé d'une interdiction d'exercer son métier de metteur en scène (qui fut levée dès 1947, avec le génial Quai des orfèvres), tout comme Pierre Fresnay qui écopa de quelques semaines de prison.

Mais il est toujours bon de rappeler les autres atouts de ce film, à commencer par son casting. Outre le grand Pierre Fresnay (on aura compris qu'il s'agit d'un des acteurs "cultes" du blog) et Ginette Leclerc, on retrouve la sublime Micheline Francey (autre actrice "culte") et une belle galerie de seconds rôles, tels que Noël Roquevert en instituteur manchot, Pierre Larquey en doyen de médecine, Pierre Bertin en sous-préfet (idéal dès qu'il s'agit de faire un discours pompeux !), Louis Seigner et Jean Brochard en médecins et Sylvie en mère vengeresse.


L'ouverture du film sur Pierre Fresnay, les mains ensanglantées, expliquant laconiquement à une vieille femme que sa fille a perdu son bébé mais qu'il ne faut pas pleurer puisqu'elle est vivante, est impressionnante de froideur. Ce héros sombre et solitaire, au passé tragique, ne provoque aucune empathie, même quand il est au fond du trou. Aucun personnage d'ailleurs, si ce n'est les deux femmes interprétées par Ginette Leclerc (boiteuse) et Micheline Francey (malheureuse dans son couple). On peut comprendre qu'en temps de guerre, ce film montrant les habitants d'un village français de manière aussi noire, a pu choquer.

Le corbeau dénonce toutes les vérités cachées, mêmes les pires, et créer un climat de tension dans le village, où les habitants cherchent à protéger leur petit confort sans se faire éclabousser. En cela, le film de Clouzot reste un cruel reflet de la trouble époque du milieu des années 40 où la délation fit les ravages que l'on sait, et montre en pleine guerre le vrai visage des français, celui que l'on tenta d'oublier après l’Épuration pour ne pas diviser le pays. Le Corbeau était donc condamné dans tous les cas, et le prétexte d'une production Continental servit à lui faire porter des chapeaux qu'il n'avait pas.

Une scène est particulièrement admirable, et je vous propose de la revoir en vidéo ci-dessous ; un échange entre Pierre Fresnay et Pierre Larquey (peut-être le meilleur rôle du film !) sur la limite entre le bien et le mal, les dérives de la délation. Certaines phrases, telle que "Vous croyez que les gens sont tout bon ou tout mauvais, vous croyez que le bien c'est la lumière et que l'ombre c'est le mal mais ... où est l'ombre, où est la lumière ? Où la frontière du mal ?" peut s'entendre comme une justification de la Collaboration avec l'ennemi (ce qui fut reproché à Clouzot) ou comme une dénonciation virulente de la société française sous l'Occupation.


Le Corbeau, film mal aimé après sa sortie, n'a pas démérité son statut de chef d’œuvre du cinéma français et n'a rien perdu de son pouvoir ; sa violence à l'égard des Hommes, de leur comportement en temps troublé, est intemporelle en même temps qu'un formidable témoignage de son époque.


Voir aussi : Pierre Blanchar et l'article "Le corbeau déplumé" sur http://letaphophile.free.fr !

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Bonjour,
Qu'est-ce qu'il est bien votre Blog !
Merci
Dona

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