mercredi 11 décembre 2013

Cent ans avec Jean Marais (1913-2013) !



D'aussi loin que je me souvienne, j'ai toujours voulu être Jean Marais. Quand d'autres se rêvaient pompiers, joueurs de football, rappeurs et se languissaient à découvrir les nouvelles aventures de Bruce Willis et Kevin Costner sur les écrans, je ne rêvais qu'à devenir un énigmatique bossu dans le Paris de la Régence, un aventurier de haut vol à la poursuite d'un bandit au masque vert, un noble chevalier au service des dames et du Roi de France, une Bête au lourd secret dans un château maléfique. Le sourire en coin, le regard comme atout majeur, la carrure d'un athlète, bondissant de créneaux en chevaux, une épée à la main. Assis à une table de collégien, je ne voyais derrière le tableau noir que les ombres gigantesques de Jean Marais, mon héros, ferraillant contre dix, le cœur vaillant.

Si j'admirais par dessus tout Fernandel, Bourvil et Louis de Funès, les idoles logiques des rires de nos jeunesses cinéphiles, c'est à Jean Marais que je voulais ressembler, quitte à m'obstiner dans la fabrication d'épées en bois, dans une volonté à monter des chevaux ou à vivre dans un passé glorieux, où tout se réglait avec un peu de panache - je dois ainsi probablement une partie de mes études historiques à Jean Marais. Dès lors, je n'ai eu de cesse de voir les tous les films que je pouvais trouver, de me rendre sur les lieux qui pourraient me rendre quelques bribes souriantes de mon enfance héroïque, d'acheter les livres pour continuer le rêve. Aujourd'hui, j'ai une vision idéale d'un Jean Marais qui, à l'image de Bourvil, apparaît dans une postérité sans tares, emprunte de pureté, sans défauts. Personne n'a jamais critiqué l'homme ; à peine l'acteur. Jean Marais fut un être bon, chaleureux, souriant, dévoreur d'une vie qu'il voyait chaque jour comme un cadeau, protecteur bienveillant de l'oeuvre de Jean Cocteau, à qui il devait presque tout. Charmeur, cavaleur, cascadeur, il fut, si l'on en croit les nombreux témoins de sa vie, un être parfait, beau et bon, le sourire permanent pour se rappeler que la vie est belle et qu'on peut la vivre en tant que telle. Il eut le courage de ses idées, de ses amours. Dans une préface à un livre de Henry-Jean Servat, Mylène Demongeot, sa partenaire des Fantômas (Hunebelle) se souvenait d'une anecdote : assis tous deux dans une voiture travelling au milieu de Paris, Jean Marais fut pris à parti par un homme visiblement agacé contre lui, qui lui cracha au visage en le traitant de sale pédé. Loin de chercher l'affrontement, Marais se retourna vers sa partenaire, en s'essuyant le visage, avant de terminer par un "Tu vois ... ce n'est pas toujours facile."

Jean Marais savait se montrer joyeux, emporté. Ainsi, quand j'ai demandé à la comédienne Dominique Blanchar si elle avait un souvenir lié à son ami Jean Marais, avec qui elle tourna Le secret de Mayerling (Delannoy) en 1949, elle déclara que c'était un homme extraordinaire avant d'ajouter : "J'étais jeune, il m'invita à dîner après le film que nous venions de tourner et me déclara qu'il aurait voulu m'épouser, qu'il m'aurait emmené à Venise ... mais qu'il aurait surement regardé le gondolier !"



Farceur ou dramatique, Jean Marais disait se foutre de la postérité, que seule comptait celle de Jean Cocteau. Aujourd'hui, il y a exactement cent ans, Jean Villain-Marais venait au monde, dans une Europe qui s'apprêtait à connaître un premier conflit mondial des plus meurtriers. Avec les bonnes étoiles de sa naissance, un 11/12/13, son culot et son grand talent, il fut l'un des acteurs les plus emblématiques du cinéma français, l'un de ceux les plus appréciés du public. Que l'on se plaise à préférer sa période poétique, sous l'égide de son Pygmalion, ou ses aventures de capes et d'épées, on ne reste pas insensible à Jean Marais. Des années après sa mort, je suis certain que des centaines de petits garçons rêvent encore, comme moi, à ce héros si populaire, cet homme que l'on peut avoir comme modèle.

Alors qu'il jouait Le Cid au théâtre, à Paris, une alerte à la bombe obligea l'ensemble des occupants du théâtre à évacuer. Jean Marais resta seul, dans sa loge, à lire. Francis Huster se hâta à ses côtés pour le faire sortir au plus vite mais le vieil acteur, toujours malicieux, lui répondit "Que veux tu qu'il m'arrive ?". Rien ne pouvait atteindre Jean Marais. A présent mort, il est immortel.

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