Voilà déjà trois décennies que Louis de Funès, le comique le plus célèbre des années 1960 et 1970 s'est éteint - nous fêtons ce triste anniversaire aujourd'hui jour pour jour. Et pourtant, jamais celui qui fut à l'écran les légendaires Cruchot, Don Salluste, Juve ou Monsieur Septime, n'a été aussi présent sur nos (petits) écrans et dans nos librairies. Il existe pléthore de livres biographiques, d'analyses ou de compilations des meilleurs extraits de films, et il en sort encore souvent. Pas une année sans qu'une chaîne de télévision pense original de lui consacrer une émission, avec des interviews inédites. Pas un mois enfin sans qu'une soirée ne soit ponctuée par une énième rediffusion d'un classique de sa filmographie. Étonnamment, Bourvil et Fernandel ne connaissent pas le même sort malgré de grands films, et le phénomène de Funès fait un peu figure d'argument commercial avant tout. Ainsi le champion du box-office adoré des producteurs est devenu après sa mort le champion de l'audimat.
Louis de Funès fut pendant quelques années de mon adolescence une obsession, une idole dont il fallait collectionner tout ce qui portait sa marque, connaître tous les détails de sa vie, quitte à se rendre comme un pèlerinage dans le village où il possédait son château. A mes débuts sur internet, j'avais même envisagé de créer un site consacré à l'acteur comique, sans suites, faute à une opulence déjà réelle des sites de fans et à l’imbécillité de son fils aîné qui tenta un temps de régenter la communauté des admirateurs de son père. Puis vint le cinéma américain et d'autres idoles, plus viriles, plus laconiques aussi.
Je suis revenu à Louis de Funès avec ma redécouverte du cinéma français, il y a quelques années, en le trouvant ça et là dans des petits rôles. Serge Regourd, dans son excellent ouvrage Les seconds rôles du cinéma français, grandeur et décadence, revient sur le parcours atypique d'un second rôle inimitable qui devint la plus grande star française, et il faut bien reconnaître une qualité aux diverses émissions qui tentent de voir dans la moindre petite apparition l'éclair de son génie : ils ne se trompent pas. L'auteur rappelle, avec toute l'objectivité qui est la sienne, à quel point Funès parvint à éclipser régulièrement les stars avec quelques minutes de présence à l'écran. Dans la seule décennie 1950, il tourna plus encore que Noël Roquevert, enchaînant parfois plus de 15 films dans une seule année ! Quant aux centaines d'expressions de son visage, fait de sa gloire comme de son mépris, il se contente avec justesse d'écrire Quand la charge paraît relever de l'Être et non du Faire, ce n'est plus une charge. Mais du talent. Du reste, que seraient devenus les Homme orchestre, Sur un arbre perché, Soupe aux choux sans la présence de Louis de Funès ?
Michel Galabru ne manque jamais l'occasion de rappeler que Louis de Funès souffrait terriblement des critiques envers ses films ou sa personne, qu'entendre qu'il était un ringard le poussait à vouloir plaire aux cinéphiles exigeants, type Les Cahiers du cinéma, ou même à vouloir tourner avec Polanski. 30 ans après sa mort, les mauvaises langues sont rares et quand bien même elles se fatiguent de sa folie grimaçante, elles reconnaissent toujours, malgré tout, le talent de leur auteur. Louis de Funès continue de s'exporter avec succès en Europe - ce fut même un jour pour moi un efficace moyen de communication avec une polonaise, ravie de se trouver dans le pays du Gendarme !
Je reste donc un inconditionnel de Louis de Funès, en sachant toutefois modérer mon enthousiasme pour des films que je connais par coeur. Peut-être par snobisme, peut-être parce que les comédies américaines de Billy Wilder ou Franck Capra m'ont ouvert d'autres horizons. Toujours est-il que le mot FIN que l'acteur redresse à la fin de Certains l'aiment froide (J. Bastia, 1959) ne lui sied pas bien. A l'image de l'emprunte indélébile qu'il a laissé dans le cinéma français, et qui se perpétue de génération en génération depuis maintenant 30 ans, son personnage ne parvient pas à poser le point sur le i, le met dans sa poche et s'en va dans un plan étonnamment chaplinesque, en arrachant un petit morceau d'éternité à un mot qui n'a pas beaucoup de sens quand on parle de lui.
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