En quelques mots : Marseille, dans les années 1930. Justin est le sympathique chef d'une bande de trafiquants, l'enfant du pays, respecté de tous. Il est depuis quelques temps concurrencé par un italien, Esposito, qui ne recule devant rien pour prendre le contrôle de la ville. Au milieu des deux bandes rivales, les habitants, un journaliste parisien et une jolie femme qui cherche l'amour.
Étonnante découverte du coffret Maurice Tourneur (Pathé, 2012), Justin de Marseille commence presque comme un reportage, avec une fanfare sur le Vieux Port et un homme, le marseillais éternel, qui vante à un journaliste parisien les mérites de sa ville, que quand on y est venu une fois, on ne peut plus en repartir, que la presse exagère toujours tout, que les journalistes viennent y chercher Chicago et que tout ça, c'est la faute du soleil, peuchère ! Près de 80 ans après la sortie du film, Jean-Claude Gaudin ne dirait pas autre chose si on lui posait une question similaire. Peut-être trouverait-il matière à justifier que le film fut produit aussi parce que le scénariste, Carlo Rim, trouva un défenseur de poids en la personne de Paul Carbone, grande figure du Milieu marseillais des années 1930. Ce dernier fut par ailleurs source d'inspiration d'un autre film de gangster à Marseille, Borsalino, avec Alain Delon et Jean-Paul Belmondo. Jolie réussite de Jacques Deray, le film souffre pourtant, quand on y repense, d'un manque de pittoresque lié aux accents et au décor.
Le réalisme est omniprésent dans l'oeuvre de Maurice Tourneur et ses films des années 1930 permettent de se replonger dans une époque. Justin de Marseille offre alors de magnifiques plans de la cité phocéenne, de son port, de ses ruelles, de ses commerçantes de rue (qui ne sont pas des actrices), de son conducteur de tramway qui siffle, de son restaurant d'où l'on peut entendre le débutant Tino Rossi ou de ses bateaux qui arrivent et repartent. Les acteurs apportent une part non négligeable de leur talent à ce réalisme : Pierre Larquey en bègue, Alexandre Rignault en caïd italien prêt à sortir son flingue à tout moment, et l'excellent Antonin Berval, trop méconnu, qui campe un Justin jubilatoire avec une violence et une intelligence masquée derrière la galéjade. Là encore, comme dans Au nom de la loi (1932), on pense aux influences américaines dans la mise en scène de certaines séquences (le braquage dans le port), manifestées par un clin d'oeil direct à Scarface (avec l'accent, s'il vous plaît), mais elle s'arrêtent dès lors que Maurice Tourneur insuffle la décontraction provençale dans l'action policière : en témoignent les formidables scènes de l'enterrement ou du policier qui s'arrête faire le plein lors d'une poursuite !
Un polar provençal, ce n'est pas courant. Et il faut ajouter au crédit du scénariste de faire de son film un reflet de son époque ; en témoignent les Chinois qui se font voler de l'opium.
Dans le bonus du DVD, un entretien avec Bertrand Tavernier apporte la solution à ce mystère : des Chinois (au même titre que des Indiens du RAJ, par ailleurs), furent payés pour venir en France lors de la Première Guerre Mondiale. Celle-ci terminée, certains se fixèrent à Paris - naissance du célèbre quartier chinois -, d'autres sur le chemin du retour s'arrêtèrent à Marseille. Cela donne dans le film une formidable scène avec Aimos, dit le Fada, personnage important dans tous les films du genre et qui apporte bien souvent la solution, comme un indicateur, ici avec une pointe d'humour. On notera aussi la manière dont Maurice Tourneur envisage le duel final entre les deux rivaux, entièrement en ellipse avec un superbe travail sur le son (pour un film qui date de 1935 !), s'en s'arrêter sur le dénouement, pourtant essentiel, que l'on découvre au hasard d'une scène. Cette trouvaille déconcertante de prime abord est l'une des plus belles du film. La conclusion poétique est terriblement française, romantique et urbaine, avec un mouvement de caméra toujours utilisé aujourd'hui.
Avec Justin de Marseille, qui mérite d'être (re)découvert par tous, Maurice Tourneur, réalisateur parisien par excellence, offre un regard inédit et juste sur la cité phocéenne, loin de toutes les histoires qui firent la gloire de Marcel Pagnol et imposèrent une vision débonnaire de personnages pittoresques - incarnés par Raimu, Charpin et les autres. On ne peut d'ailleurs s'y tromper, Antonin Berval ne fut pas de cette autre équipe talentueuse. Hélas !
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire