Classique du cinéma français, L'assassin habite au 21 fut produit en pleine Seconde Guerre Mondiale, et en pleine Occupation, par la Continental-Films, société de production dirigée par les allemands. On reprocha assez longtemps au réalisateur Henri-Georges Clouzot, et plus brièvement à Pierre Fresnay et Suzy Delair, d'avoir continué à travailler pour l'occupant. Pourquoi cette cabale quand on ne reprocha rien à Fernandel, qui réalisa pourtant deux films pour la Continental, et reprit son activité à la Libération avec Le mystère Saint-Val ?
Même si c'est principalement Le Corbeau qui lui attira des ennuis, Clouzot filmait déjà dans son premier long-métrage la noirceur des hommes et de leur comportement, avec cynisme et audace (la formidable scène où Raymond Bussières se moque d'un gendarme, perché sur un lampadaire). Il dépeint une société qui, sous ses airs d'honnêteté, est infecte et méprisable ; aucun personnage ne peut nous être totalement sympathique, même les plus droits dans leurs valeurs sont étouffants de conformisme (qui voudrait s'embarrasser de la "vraie jeune fille" ?). Une très jolie scène montre également Suzy Delair tenter de convaincre un producteur de l'engager, en arguant qu'elle n'a pas son talent "dans les fesses", et retourner sa veste sitôt qu'on lui propose de faire la couverture avec du sensationnel - de ce point de vue, rien n'a changé.
- "Un quoi, hein ? Elles ont un ... ? Ah, je vois c'que c'est, Monsieur est un corrompu ! Et bien mon ami, avec moi, vous vous trompez de porte. Moi j'ai mon talent dans le masque, pas dans les fesses !" (Susy Delair)Ce film policier reste tout aussi brillant dans l'écriture des dialogues, de l'intrigue et dans la mise en scène, d'une grande fluidité. Pour ce blog, je propose un extrait vidéo de la présentation des habitants de la pension familiale, où tout va se jouer. En quelques minutes réjouissantes, avec de très belles répliques de Noël Roquevert ("Je n'ai jamais aimé le spectacle des ruines"), Clouzot dépeint une brochette d'horribles personnages, tous suspectés d'être les assassins. L'intrigue policière tient toujours très bien le coup, et le suspens reste entier jusqu'au bout.
L'assassin habite au 21 est, en outre, l'occasion toujours appréciable de savourer les interprétations d'une belle bande d'acteurs : je reste un fan de Suzy Delair, pourtant dans la surenchère permanente, mais aux clins d’œils délicieux et à la gouaille d'un autre temps ; Pierre Larquey et Jean Tissier sont parfaits dans leurs rôles respectifs, tout comme Raymond Bussières, très drôle. Et que dire de la classe, du sourire et de la voix du grand Pierre Fresnay et la drôlerie géniale de Noël Roquevert.
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