vendredi 26 octobre 2012

Arletty et l'Épuration : "Je suis un gentleman !"

Pendant l'Occupation, Arletty n'arrêta pas de travailler et tourna six films, dont Les visiteurs du soir (1942) et Les enfants du paradis (1943), mais jamais avec la Continental, dirigée par les Allemands - le projet de Marcel Carné, Les évadés de l'An 4.000 ayant avorté.

En 1941, sur le tournage de Madame Sans-Gêne, le réalisateur Roger Richebé lui demande d'intervenir auprès d'un colonel de la Luftwaffe, Hans Jürgen Soerhing, pour qu'il accepte de prêter le château de Grosbois, quartier général de l'aviation allemande, pour le film. Cet homme de 33 ans, qui parlait couramment français, lui avait déjà été présenté quelques mois auparavant. Dès lors, elle s'afficha à ses côtés partout, dans les soirées mondaines, à l'ambassade d'Allemagne, au restaurant, ce qui lui valut un jour d'entendre à la radio qu'elle avait été condamnée à mort par les Résistants ! Le lendemain, elle rétorqua à un journaliste qu'il l'interrogeait sur cette information "Ni chaud, ni froid !".

En 1943, sur le tournage des Enfants du paradis, elle tombe enceinte de Hans, avorte et n'ose pas accepter sa demande en mariage. Les Américains débarquant en Sicile, l'ambiance est lourde à Nice, où se tourne le film de Marcel Carné. Robert Le Vigan s'enfuit en Allemagne et Arletty a peur pour son amant qui se bat à Monte-Cassino. De retour à Paris, elle use de son influence auprès des Allemands pour sauver la vie de Tristan Bernard, Sacha Guitry s'en attribue tout le mérite, d'où quelques années de brouille.

A la Libération de Paris, en août 1944, Arletty fait le choix de rester à Paris, malgré les conseils de son amant. Elle se cache chez un jeune assistant de cinéma, puis chez Lana Marconi, puis chez un médecin qui lui conseille finalement de se laisser arrêter. Conduite au dépôt puis à Drancy (ancien lieu d'internement avant la déportation des juifs) peu après, elle rétorque aux FFI la célèbre réplique de Hôtel du Nord : "Pour une belle prise, c'est une belle prise !". Lors de son procès, elle ne se démonte pas, bien consciente de l'injustice que représente sa condamnation morale. A un préfet qui lui demande le nombre de ses conquêtes féminines, elle rétorque "Je suis un gentleman !". Quand le même individu la questionne un matin sur son état de santé, elle plaisante : "Pas très résistante".

Arletty devint le symbole de la collaboration horizontale, celle qui avait couché avec l'occupant, une traitrise absolue. Elle hésita à se raser les cheveux, mais personne n'ose le lui faire. Henri Jeanson lui souffla une réplique restée aussi célèbre que celles de ses films, comme l'ultime défense d'une femme tombée amoureuse d'un Allemand : "Mon cœur est français mais mon cul est international !".

Frappée d'une interdiction de travailler pendant trois ans, Arletty fut placée en résidence surveillée à quelques kilomètres de Paris. Son idylle avec Soerhing continua encore quelques temps avant de s'effacer doucement, la distance aidant. Elle recommença à travailler dès 1949 avec Portrait d'un assassin, de Bernard Rolland. A la fin de sa vie, quand on évoqua la possibilité qu'elle obtienne la Légion d'Honneur, elle se contenta de citer la phrase de Marcel Aymé : "Vous pouvez vous la carrer dans le train !".

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