mercredi 24 octobre 2012
"L'HOMME DE NULLE PART" (de Pierre Chenal, 1937)
En quelques mots : Mathias Pascal, doux rêveur épouse sans argent la jolie Romilda. A la mort de sa mère, exaspéré par sa belle-mère et sa femme qui se moque de lui, il s'enfuit. Quand il revient, riche, il apprend qu'on le considère comme mort et assiste à son enterrement ! Il s'exile alors définitivement, tirant un trait sur tout ce qui le rattachait à son passé.
L'homme de nulle part est une très belle adaptation du roman de Luigi Pirandello, "Feu Mathias Pascal", réalisée par le méconnu Pierre Chenal (La maison du maltais, L'alibi). Le film s'ouvre sur une illusion, celle d'un amour heureux entre un beau jeune homme, doux rêveur, et une jolie jeune femme (incarnée par Ginette Leclerc), presque de manière volontairement caricaturale, dans un jardin ensoleillée, à la manière de certains plans de Peter Ibbetson de Henry Hathaway (1935). La séquence suivante amorce le déclin, encore avec humour, où la noce vire à la pantalonnade quand personne n'est capable de payer la facture de champagne. Dès lors, l'ambiance devient lourde et on se prend immédiatement d'empathie pour le personnage incarné par Pierre Blanchar, au départ terriblement pataud, ridiculisé par sa belle-mère, moqué par sa femme et tristement consolé par sa mère, qui meurt très vite. C'est le toujours génial Pierre Palau qui sauve notre homme en lui prouvant par les faits - plusieurs milliers de francs gagnés au casino - qu'il est chanceux ! Son retour au village n'est que déconvenue : on le considère comme mort, et il assiste dans l'ombre à son enterrement et aux ultimes railleries de sa famille ("Tu pleures vraiment ?" "Je pleure toujours aux enterrements !").
Éloigné de sa vie morne, il devient l'homme de nulle part, vivant dans une petite pension où il ne reçoit jamais de courrier, évite toute confrontation avec les autorités. Entre en piste Robert Le Vigan, dont on ne dira jamais assez à quel point il excelle dans ce rôle de dandy fort en gueule et en assurance, élégant jusque dans l'escroquerie. Quand il a flairé le petit manège de son homme, ce bellâtre qui s'apprête à épouser la fille du tenancier, s'amuse à vouloir lui faire perdre pied ; le point culminant est une superbe séquence de spiritisme où la lumière devient tout à coup très sombre et les plans rapprochés, comme si la caméra invitait le spectateur à fouiller l'âme de ses protagonistes. Personne n'est vraiment propre dans cette maison où l'apparence est de mise, si ce n'est la jolie Isa Miranda dont tombe amoureux Pierre Blanchar.
La mise en scène de Pierre Chenal est dès lors beaucoup plus renfermée sur ses personnages, à l'image d'une scène sublime où Blanchar revient dans sa famille d'origine, impérial et autoritaire - à peine peut-on croire qu'il s'agit du même personnage -, magnifiquement éclairée dans un clair-obscur d'outre tombe (il est censé être mort), en contre plongée.
On l'imagine, seule la fin est assez conventionnelle, car inéluctable. Elle ne gâche toutefois pas le plaisir que l'on prend à regarder ce très beau film d'avant-guerre, édité en DVD chez René Chateau.
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6 commentaires:
Je ne connais pas ce film, mais ton analyse donne envie...
Oui, il faut absolument découvrir ce film méconnu. C'est une excellente surprise.
Bonjour Julien,
Je ne connais pas non plus ce film...mais j'aime beaucoup la froideur de Pierre Blanchar, à acheter donc, je me fie à votre jugement aiguisé ;-)
Garance
J'avoue avoir un petit faible pour Pierre Blanchar également, un acteur assez imposant de charisme, de froideur, de mystère. Son regard est inoubliable !
Je pense que vous aimerez beaucoup ce film !
Je l'ai vu et franchement c'est un super film,un de mes préférer avec Blanchar! un super face a face entre Le Vigan et Blanchar!!
Tres beau drame. La scène de spiritisme avec les gros plans contrastés est magnifique. Les seconds roles sont aussi excellents, Margo Lion, Douking...
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