dimanche 16 novembre 2014

L'âge dort ?

L'âge dort du cinéma français ? Depuis la création du blog, près de 170.000 pages ont été vues et ce n'est pas près de s'arrêter. Vous êtes aussi très nombreux à me demander pourquoi il n'y a plus de nouvelles récentes ... la réponse est simple : le temps me manque cruellement cette année. Toutes mes journées et soirées sont occupées à mon métier, passionnant mais prenant.

Mais, vous le savez comme moi, le Cinéma Français que nous aimons est immortel et renaît de ses cendres régulièrement. Il est va de même pour ce blog ... qui va devenir un site dans quelques temps. Avec une nouvelle adresse, un design refait à neuf et des nouveautés, vous retrouverez - je l'espère - le plaisir de lire des critiques, des interviews et des nouveautés sur l'âge d'or du cinéma français !

A très bientôt !

mardi 6 mai 2014

Décès de l'acteur Jean Gaven (1922-2014)

Jean Gaven n'est pas un acteur de mon enfance, je l'ai découvert bien plus tard dans ses folles escapades post-coloniales de La rivière des 3 jonques (Pergament, 1957) et des Aventuriers du Mékong (Bastia, 1958). Le tempérament aventureux de cet acteur à gueule, un rien nonchalant dans ses sourires en coin, m'avait séduit tout autant que la présence énigmatique de son épouse Dominique Wilms. Le duo n'a pas eu la carrière qu'il aurait pu avoir avec des meilleurs scénaristes mais leurs films restent les charmants témoignages d'une autre époque, probablement plus insouciante.



Du reste, Jean Gaven a tourné avec un grand nombre des metteurs en scène les plus réputés du cinéma français : Henri Decoin (Au grand balcon, 1949), Henri Verneuil (Le boulanger de Valorgue, 1953, où il incarne un curé face à Fernandel), Christian-Jaque (Si tous les gars du monde, 1956), Denys de la Patellière (Le bateau d'Emile, 1962), Georges Lautner (Le pacha, 1968), René Clément (La course du lièvre à travers les champs, 1972 ; Le passager de la pluie, 1969) et plus récemment Jean Becker (L'été meurtrier, 1983). On se souvient aussi de Jean Gaven dans la série Maurin des Maures (1970) et dans quelques gentilles comédies de l'après-guerre, à l'image des Pépées font la loi (André, 1955), Les quatre sergents du fort carré (Hugon, 1952), Du riffifi chez les femmes (Joffé, 1959) et même Le trouble-fesses (Foulon, 1976).

La première fois que j'avais écrit à Jean Gaven, il m'avait renvoyé un courrier enthousiaste, heureux de voir que quelqu'un s'intéressait à sa carrière et celle de son épouse. Le temps, toujours, celui-là même qui m'empêche d'avancer autant que je voudrais sur ce blog ou de me déplacer à Paris, m'a empêché de le rencontrer. Le 16 janvier dernier, je l'ai appelé pour lui souhaiter son anniversaire mais, déjà trop affaibli, il n'avait pu me répondre. Je n'oublie pas les mots de Dominique Wilms, ce soir là, ravie de savoir que leur carrière n'est pas oubliée et qu'il y a encore des (jeunes) cinéphiles pour s'en souvenir. C'est à elle, principalement, que je pense aujourd'hui.

lundi 28 avril 2014

Décès de l'actrice Andréa Parisy (1935-2014)

Le temps est mauvais en Bretagne depuis quelques jours et je ne peux mettre à jour le blog L'âge d'or du Cinéma Français autant que je le voudrais, hélas. Et puis ce dimanche après-midi, j'apprends la disparition d'une magnifique actrice de notre cinéma national ; Andréa Parisy est donc partie rejoindre les vadrouilleurs lanceurs de citrouilles dans un ailleurs plus heureux. La réalité est parfois difficile à croire.



Je suis d'autant plus triste que je n'ai eu de cesse de penser à elle depuis plusieurs mois. Nous avions eu l'audace de penser que nous pourrions l'approcher un jour, la rencontrer, lui parler de sa carrière, de ses rencontres. Des semaines nous ont été nécessaires pour trouver, avec un culot que je ne pourrais décrire ici, son numéro de téléphone à Paris. Un soir d'octobre dernier, nous avons sauté le pas ... au bout du fil, la jolie voix d'Andréa Parisy nous félicite de notre détermination à vouloir la contacter ; notre courage aussi, elle qui s'amuse à nous dire qu'elle a une mauvaise réputation dans le métier. Notre projet, le blog, nos envies l'enchantent ; plus l'entretien avance, plus elle semble heureuse de notre appel. Elle nous informe pourtant qu'elle est un peu malade et qu'il faudrait attendre les beaux jours pour se rencontrer, quand elle ira vraiment mieux. Qu'importe, nous sommes exaltés. Vous avez la gentillesse de vous intéresser à moi, je répondrai à toutes vos questions conclue-t-elle avant de nous laisser rêver à cette future rencontre. Sa pudeur a été son élégance envers les jeunes cinéphiles que nous sommes et notre dernier souvenir est probablement le plus beau.

Jeune vedette dans les années 1950, Andréa Parisy détonne avec sa silhouette attrayante, ses beaux cheveux bruns et son sourire charmeur : stricte mais décontractée, elle est la bourgeoise épicurienne, peut-être un peu trop hors codes. Futures Vedettes (Allégret, 1955) la met en scène avec toute la jeune génération mais ne lui offre aucun titre de gloire. Il faut attendre Les tricheurs (1958) de Marcel Carné pour qu'elle explose véritablement. On la retrouve dans 125 rue Montmartre (Grangier, 1959) ou Le Rendez-vous (Delannoy, 1961). Dans 100.000 dollars au soleil (Verneuil, 1963), elle est presque la seule femme au milieu de ce western africain où la virilité finit par perdre cette bande de loups en quête de fortune. Pourtant, chez Verneuil comme chez Oury (La grande vadrouille, 1966) ou Dhéry (Le petit baigneur, 1967), elle n'est qu'une comparse, nonne lanceuse de citrouilles ou femme-potiche d'un Louis de Funès obnubilé par son bateau. Tout juste peut-on noter un premier rôle dans un segment des Grands seigneurs (Lautner, 1965) ou dans La gueule de l'autre (Tchernia, 1979) où elle montre que l'âge n'a pas d'emprise sur sa beauté. Sa carrière s'arrête quasiment là ; ajoutons quelques sympathiques chansons que l'on peut trouver facilement sur internet.

Une carrière que l'on aurait désirée plus longue, plus intense, plus prolifique - il y a, à l'heure de l'épilogue, un vrai sentiment de tristesse. Qu'a-t-elle pensé de sa carrière ? Quelle vision avait-elle d'un métier qu'elle a abandonné rapidement ? Nous ne le saurons pas. Véritablement, Andréa Parisy ne laisse ce soir que des regrets.


vendredi 4 avril 2014

Bon anniversaire à ... Pierre Fresnay (1897-1975)

On parle très souvent de Pierre Fresnay sur ce blog, l'acteur est presque une mascotte de L'âge d'or du Cinéma Français ; plus encore, je constate toujours avec un grand plaisir que les quelques vidéos où il apparaît sur YouTube rappellent de jolis moments aux cinéphiles que vous êtes !



Même si Pierre Fresnay fut avant tout un homme de théâtre, Jean-Pierre Mocky l'évoquait avec nous il y a quelques temps encore, les inconditionnels du cinéma français se souviennent de la Trilogie Marseillaise où le jeune alsacien qu'il était s'opposait avec crédibilité à Raimu, de ses rôles mystiques en fin de carrière (Monsieur Vincent, 1947 ; Dieu a besoin des hommes, 1950 ; Le défroqué, 1954) et d'une poignée d'interprétations restées dans la légende : l'intransigeant capitaine de Boeldieu de La Grande illusion (Renoir, 1937), le commissaire de L'assassin habite au 21 (Clouzot, 1942), le peintre maudit de La main du diable (Tourneur, 1943) ou le docteur Germain du Corbeau (Clouzot, 1943).

Pierre Fresnay aurait fêté aujourd'hui ses 117 ans !

samedi 22 février 2014

"LE VOLEUR DE FEUILLES" (de Pierre Trabaud, 1983)

En quelques mots : André est un vieux vagabond un peu poète. Il rencontre un jour, par hasard, un homme qui vient d'assassiner sa femme et qui erre dans Paris. Logés chez une vieille femme qui ne vit que dans la nostalgie de son amour de jeunesse, les deux hommes s'apprêtent à partager quelques instants de vie où la joie de vivre éclipsent provisoirement les malheurs.

Le voleur de feuilles est l'unique mise en scène au cinéma du comédien Pierre Trabaud, grand nom du doublage en France et apparaissant dans une poignée de seconds rôles dans les années 1950. Oubliée, sortie dans l'indifférence d'une exploitation hasardeuse en 1983, cette oeuvre poétique reste aujourd'hui difficile à voir, si ce n'est en la commandant sur le site officiel de son réalisateur. Et pourtant, elle devrait susciter l'admiration et le bonheur de dizaines de cinéphiles qui retrouveront, le temps d'une aventure humaine d'un autre âge, quelques fragments du cinéma populaire d'avant-guerre. Hors du temps, ce film évoque les plus belles réussites de Marcel Carné ou René Clair - la technique en moins -, dans des décors naturels et à une époque différente, peut-être plus triste ; forcément nostalgique. Le titre est lié à l'improbable profession du personnage de Pierre Trabaud, un peu vagabond et poète, prêt à tout par amitié, même à cueillir de véritables feuilles de fougères ou de bananiers pour les étals de ses amis commerçants. Le temps passe, l'étalement urbain s'impose et il faut aller de plus en plus loin pour en trouver, parfois dans des propriétés privées.



Les personnages dessinés dans le film sont déracinés et cherchent à survivre de leur mieux dans une époque qui ne leur appartient plus - la vieille dame qui peint son amour de jeunesse ; le jeune homme perdu dans une enfance qu'il chérit. Dès lors, rien de plus naturel que cette profession de voleur de feuilles, cette voiture des années 1920, ces peintures de l'après guerre, cette ambiance désuète. Mais Pierre Trabaud, plutôt que d'imposer un triste constat mélancolique, s'évertue à faire rire, sourire, rêver. Rien ni personne n'est morne dans cette fable optimiste et chaleureuse, emprunte d'une douce folie- si ce n'est le passé dramatique de tous les personnages.



Roger Lumont, qui interprète avec humour un carrossier dont le loisir est de se fracasser la tête contre les murs pour se donner de la force, m'avait confié que le film fut compliqué à monter pour son auteur, qui fit appel à nombre de ses amis pour lui donner la réplique. On retrouve ainsi beaucoup de comédiens spécialisés dans le doublage tels Jacques Deschamps, Jean-Claude Michel, Philippe Dumat, Georges Aubert ; ainsi qu'un Jean-Pierre Castaldi délicat, Jean-Pierre Darras dans une brève apparition et Denise Grey, superbe de grâce dans un rôle sur-mesure.



"Il faut bien rêver. Si on n'avait que la réalité ..." La dernière réplique du film souligne davantage la dimension onirique de cette aventure improbable et dramatique. En citant Arletty sur les bords du canal Saint-Martin, en évoquant les souvenirs insouciants des beaux jours des années folles, Pierre Trabaud s'inscrit dans un cinéma français classique, rêveur, populaire et contemporain. A la différence de ses aînés, son univers est désenchanté mais sa contemplation est probablement plus belle encore que la réalité qu'il regrette. Un optimisme rare et salvateur qu'il faut redécouvrir !

vendredi 21 février 2014

Décès de l'acteur Marco Perrin (1927-2014)

C'est avec tristesse que j'ai appris, comme beaucoup, la disparition il y a quelques jours déjà (le 17 février) de l'acteur Marco Perrin. Tous les cinéphiles se souviennent de son visage dur et charmeur de méridional à qui il ne fallait pas la faire. Handicapé depuis 1983, il s'était retiré du métier mais avait retrouvé le devant de la scène des souvenirs grâce à la passion d'un jeune homme, Jérémy Kaplan, qui lui a consacré un documentaire en 2010.



Second rôle que l'on remarque à coup sûr, Marco Perrin fut au casting des Malheurs d'Alfred (Richard, 1971), Tout le monde il est beau tout le monde il est gentil (Yanne, 1972) bien qu'il n'accepta jamais la pingrerie du réalisateur, Flic Story (Deray, 1975), L'homme pressé (Molinaro, 1977), Comme la lune (Séria, 1977), Le gendarme et les extraterrestres (Girault, 1978), La gueule de l'autre (Tchernia, 1979) ou encore La soupe aux choux (Girault, 1981). Mon meilleur souvenir de Marco Perrin reste sans nul doute sa performance face à Gérard Depardieu dans Les valseuses (Blier, 1973), la caméra tournant sans cesse autour des deux hommes qui, comme deux chiens qui se défient, manquent d'en venir aux mains.

Pour tous les admirateurs de l'acteur qui vient de nous quitter, je ne peux que conseiller la page Facebook tenue par Jérémy Kaplan, mise à jour régulièrement avec passion.

mercredi 19 février 2014

Bon anniversaire à ... Jacques Dufilho (1914-2005)

Jacques Dufilho est un de mes acteurs favoris et c'est un grand plaisir, jour après jour, de découvrir l'étendue de sa longue filmographie. Les rencontres avec les artistes du cinéma français, que j'essaye de vous faire partager sur ce blog, sont toujours l'occasion d'évoquer le souvenir de celui qui fut à l'écran l'exubérance, la folie et la drôlerie, et à la ville un homme de traditions, fixé à une France dont il avait la nostalgie. Il y a quelques jours encore, Jean-Pierre Mocky évoquait avec nous les regrets d'un comédien qui n'a pas eu la carrière qu'il méritait.



Malgré tout, la filmographie de Jacques Dufilho reste impressionnante. De ses débuts dans Croisière sidérale (Zwobada) en 1941 jusqu'aux rôles de la maturité, Le cheval d'orgueil (Chabrol, 1980), Pétain (Marboeuf, 1993) ou les sympathiques Enfants du marais (Becker, 1999), l'acteur a travaillé avec les plus grands. On se souvient de lui dans Cadet Rousselle (Hunebelle, 1954), dans Marie-Antoinette (Delannoy, 1955) en Marat, lui qui se déclarait monarchiste (!), Signé Arsène Lupin (Robert, 1959).

Jacques Dufilho fut un appréciable second-rôle comique dans plusieurs films que nous avons pu évoquer ici : Le monocle noir (Lautner, 1961), La guerre des boutons (Robert, 1962), Taxi, roulotte et corrida (Hunebelle, 1958), L'assassin connaît la musique (Chenal, 1963), Le bon Roi Dagobert (Chevalier, 1963), Fantasia chez les ploucs (Pirès, 1971). Chez Jean-Pierre Mocky, il trouva un univers loufoque à sa mesure : secondaire avec Bourvil dans La cité de l'indicible peur (1964), Snobs (!) (1962) ou en tête d'affiche dans le déconcertant Chut ! (1972) ; maître-chanteur emprisonné dans Y'a-t-il un français dans la salle ? (1982). La fin des années 1970 furent pour Dufilho une renaissance dramatique avec des prestations variées mais marquantes dans Le crabe-tambour (Schoendoerffer, 1976) et La victoire en chantant (Annaud, 1976). En outre, je ne peux plus imaginer, quand je redécouvre la série littéraire originale des Fantômas de Souvestre et Allain, un autre visage que celui de Jacques Dufilho pour le commissaire Juve, lui qui l'incarna dans quatre téléfilms signés Chabrol et Bunuel en 1980.

Jacques Dufilho est né le 19 février 1914 à Bègles, il aurait fêté aujourd'hui ses 100 ans !

dimanche 2 février 2014

"LE SAINT PREND L'AFFÛT" (de Christian-Jaque, 1966)



En quelques mots : Oscar Chartier décide de prendre sa retraite d'escroc international avec un dernier coup : vendre une information secrète aux allemands et aux américains. Celle-ci se révèle fausse et Chartier traqué par les deux camps. Il confie alors sa fille à son ami Simon Templar, dit le Saint, le célèbre aventurier britannique.

Une luxueuse voiture déchire le silence de la nuit, s'arrête devant le mur d'une propriété privée ; quatre hommes descendent, armés, et une voix-off nous informe qu'ils veulent tuer le Saint, lequel discute paisiblement avec un ami à l'intérieur de son grand salon écossais. On pourrait en sourire si le ton n'était pas aussi sérieux ! Les premières minutes du Saint prend l'affût sont incroyablement désuètes et il faut de l'admiration envers l'homme pour ne pas rire de l'acteur Jean Marais, portant kilt et buvant whisky, qui s'égare dans un dialogue de mauvaise parodie avec Henri Virlogeux. La première scène d'action, d'où sort Jean Yanne avec ses petites lunettes et son accent allemand de pacotille, sonne presque le glas du film : c'est un nanar ! Et soudain ... alors que tout ce petit monde s'envole vers l'Italie pour une improbable chasse au trésor, tout devient plus limpide. Le film de Christian-Jaque est bien une parodie de films d'espionnage, les situations s’enchaînent au rythme des cases d'une bande-dessinée et les personnages perdent tout complexe quant au ridicule. Il faut voir Jean Marais grimacer un code secret, Dario Moreno flirter avec des mafiosos venus prendre leur retraite au pays, Jean Yanne singer un accent allemand dans un costume étriqué, coiffé d'un petit chapeau tyrolien. L'aventure n'est plus qu'un prétexte à des effets comiques burlesques assez amusants, servis par une bande d'acteur qui, visiblement, s'amuse autant que le spectateur.



Dans le genre, Le saint prend l'affût est même une vraie réussite, surfant en 1966 sur le succès de la série des Stanislas (déjà avec Jean Marais) ou même des Barbouzes (Lautner, 1965) - la scène des micros y ressemble beaucoup -, préfigurant des succès récents telle la série des OSS 117 avec Jean Dujardin. Dialogué par Henri Jeanson (!), le film ne recule devant aucune extravagance dans le scénario ... ni dans la mise en scène de Christian-Jaque, pourtant conventionnelle à l'habitude, qui s'offre là des cadres improbables, des accélérés qui font tâche et un rythme effréné qui profitent à l'aventure.

On retrouve, autour d'un Jean Marais élégant mais qui a du mal à se décontracter, une belle bande d'acteurs survoltés : Jess Hahn en brute domestique ; Henri Virlogeux en escroc peureux ; Roger Carel en savant fou, affublé, comme toujours, d'un accent au couteau ; Jean Yanne en allemand grotesque ; Dario Moreno en bandit mafieux ; et la magnifique Danièle Evenou, encore jeune, en fillette aventureuse, espiègle ingénue, jalouse quand on drague son protecteur mais qui n'hésite pas à se battre contre des espions internationaux, en petite culotte, sur un camion lancé à toute allure. Cette dernière séquence fut d'ailleurs marquée par un drame célèbre dans le cinéma français puisque c'est lors d'un dérapage en voiture sur une récente autoroute de la couronne parisienne que se tua le célèbre cascadeur Gil Delamare. La scène est simple, pas impressionnante à l'écran, mais fut reprise plusieurs fois. La dernière fut fatale à celui qui avait toujours refusé de faire une cascade avec une décapotable jusqu'alors. Le Saint prend l'affût est-il maudit depuis ? Petit succès en salle mais détesté de Leslie Charteris, l'auteur des romans originaux ; rare à la télévision, édité récemment en DVD - dans une copie non restaurée -, le film est en général oublié avec les autres pantalonnades de l'époque malgré sa jolie distribution. Une redécouverte par les amateurs du genre lui offrirait sans doute un second souffle.

mercredi 29 janvier 2014

Rencontre avec Jean-Pierre Mocky (1933)

Quai Voltaire, en plein cœur de Paris. L'appartement où nous reçoit Jean-Pierre Mocky surplombe avec majesté la Seine et offre un panorama rare sur le Louvre et le jardin des Tuileries. C'est dans cet immeuble magnifique, à quelques minutes de Saint-Germain-des-Prés, que le réalisateur a installé les bureaux de sa société de production. Dans ce cadre privilégié, l'appartement dénote : quelques meubles épars, des dossiers dans tous les coins et, au mur, les affiches de tous ses films. Il est un peu à l'image de la carrière de Jean-Pierre Mocky, une enclave fauchée dans un système où scintillent des étoiles inaccessibles. Face à nous, sur une chaise, le réalisateur aux 60 films en 50 ans nous accorde une petite heure d'entretien, l’œil fixé sur une horloge, la main sur un téléphone portable, le regard vers une fenêtre et les pensées pour un prochain film dont il nous montre l'affiche.



Jean-Pierre Mocky : Alors, qu'est-ce que vous voulez ? Me parler des vieux acteurs ?

Julien Morvan : Oui ... mais avant, juste un mot sur votre propre carrière d'acteur. Vous avez tourné avec Marcel Carné, avec...

Jean-Pierre Mocky : Oui, j'ai tourné avec Carné, j'ai tourné en Italie avec Antonioni, Maselli, Bianchi, De Santis, j'ai tourné avec beaucoup de monde. J'ai fait à peu près cent films avec tout le monde, avec Cocteau, avec Pinoteau, avec Gilles Grangier. Généralement, à l'époque, la carrière était celle de De Funès, c'est à dire qu'il a fait cent films où il ne dit qu'un mot ... et à 49 ans, il a fait Le gendarme de Saint-Tropez (Girault, 1964) et il est devenu une star. (Il se lève et rappelle son chien) Oui, j'ai tourné avec tous ces gens-là mais il faut penser que beaucoup d'acteurs sont arrivés très tard, De Funès étant le champion parce qu'il avait près de 50 ans. Marlène Jobert a commencé à 36 ans aussi, il y a eu Sharon Stone en Amérique. Lino Ventura, j'ai fait son premier film, Le Gorille vous salue bien (Borderie, 1957) où je jouais. En principe, les acteurs qui commencent tard ne sont pas dans la tradition des acteurs classiques qui font le Conservatoire, qui commencent leurs études à 19 ans comme Belmondo, moi ou d'autres. Les autres sont des gens du peuple : Gabin, ce n'était pas un acteur, Aznavour non plus. Jouvet, par exemple, c'était un pharmacien. Il y a beaucoup de médecins qui sont devenus acteurs.

Tanguy Métrope : Est-ce que les réalisateurs que vous avez côtoyé - Autant-Lara, Carné - ont pu influencer votre travail ?

Jean-Pierre Mocky : Pas vraiment. Autant-Lara, j'ai été son assistant, j'ai fait Occupe-toi d'Amélie (1949) parce que j'habitais chez lui, il m'aimait bien. Ce type là était un manuel, un ancien décorateur, il travaillait sur plans. Il faisait tous les plans de ses films, ce qu'on appelle aujourd'hui un story-board. Il dessinait tout et une fois que c'était fait, il n'y changeait plus rien. Carné, c'était un peu ça aussi, c'était un technicien. Les techniciens, c'est des gens qui ont des œillères, qui n'aiment pas trop bouleverser. Ils disaient "La caméra est là, et là !" et quand ils tournaient, ils ne mettaient pas la caméra ailleurs que sur le dessin. Tandis que Godard, moi et beaucoup d'autres, on est à l'impro ... on a un fil conducteur mais on improvise. Tarantino improvise aussi, c'est un copain. C'est au théâtre qu'on donne des places, le théâtre est immuable (rires). Les acteurs peuvent improviser dans une phrase mais pas dans un mouvement.

Tanguy Métrope : Cocteau aussi ?

Jean-Pierre Mocky : Non Cocteau, c'était un gars formidable pour lequel j'avais une grande sympathie, il m'a aidé énormément. Je n'ai fait qu'un seul film avec lui, Orphée (1949), je ne dis qu'une seule phrase. Mais Jean n'étais pas metteur en scène, jamais il ne l'a été, il faisait faire ses films, soit par Pinoteau pour Orphée, soit par René Clément pour La Belle et la Bête (1946). Il était là, comme vous êtes là, il regardait et il avait un conseiller technique. Beaucoup de gens ont eu un conseiller, comme Sacha Guitry. C'étaient des gens qui ne connaissaient pas le cinéma, qui avaient envie d'en faire mais c'était le technicien qui faisait tout. Il y a eu beaucoup d'auteurs dramatiques qui sont devenus metteurs en scène, aux Etats-Unis aussi.

Julien Morvan : A cette époque, vous avez tourné dans Le comte de Monte-Cristo (Vernay, 1954) et Dieu a besoin des hommes (Delannoy, 1950). Avez vous des souvenirs d'acteurs comme Pierre Fresnay ?

Jean-Pierre Mocky : Pierre Fresnay c'est mon parrain ! J'étais chauffeur de taxi, c'est lui qui m'a mis dans le métier. J'avais 18 ans, je l'ai pris dans mon taxi et il m'a mis dans une pièce, puis dans ce film. Après, curieusement, je n'ai jamais tourné avec lui quand je suis devenu metteur en scène. C'était un acteur qui n'aimait pas le cinéma, il n'aimait que le théâtre. Vers la fin de sa carrière, il ne tournait que des trucs comme Les vieux de la vieille (Grangier, 1960) avec Gabin, il tournait avec ses copains. Il n'aimait pas prendre des risques, tourner avec des jeunes ou des sujets particuliers. Après Le Corbeau (Clouzot, 1943) et quelques autres, il n'a tourné que des conneries. Aujourd'hui il y a Jacques Weber, Pierre Arditi ... Arditi, c'est le nouveau Pierre Fresnay. A la télévision, il ne fait que des conneries ; au cinéma, moi je l'ai eu dans un film mais je n'ai plus voulu le prendre après parce qu'il ne faisait que des bêtises. Ce sont des gens qui n'aiment que le théâtre alors au cinéma ils sont désorientés face aux autres acteurs. Dussollier avec un revolver, il a l'air d'un con. Pourquoi ? Parce que ce n'est pas son truc, ce n'est pas Lino Ventura ! Aujourd'hui, il n'y a que des acteurs de télévision ou de théâtre et ce sont eux qu'on engage pour faire des films. Regardez la carrière de Dujardin ... jamais il n'y aurait eu un acteur comme ça sur le plateau à l'époque. Celui qui me fait penser à Dujardin, c'est Albert Préjean, un acteur extraordinaire ... mais c'était le bouche trou, c'était l'acteur qui représentait le public parce qu'il n'avait pas vraiment de physique. Il était là dans L'alibi (Chenal, 1937) face à Louis Jouvet et Erich Von Stroheim mais il était complètement écrasé. (rires) Il était là parce qu'il fallait un gars comme ça, un gars du peuple, normal par rapport à des monstres comme les deux autres. Albert Préjean dans Mollenard (Siodmak, 1937) était complètement écrasé par Harry Baur.

Julien Morvan : Dans les Maigret, il est intéressant tout de même ...

Jean-Pierre Mocky : Oui, dans Cécile est morte (Tourneur, 1944), on le passe en ce moment dans mon cinéma. Ça marche bien d'ailleurs, il y a beaucoup de monde ! Je sais pas pourquoi mais bon ...

Julien Morvan : Dans votre livre, vous écrivez qu'après la sortie de La cité de l'indicible peur (1964), un distributeur vous a dit : "Vous n'avez pas fait ce que vous disiez ! Avec tous ces vieux ringards ..."

Jean-Pierre Mocky : Parce que le problème de l'âge se répercute partout ! Vous êtes jeunes ... mais regardez actuellement il y a un film assez marrant, c'est Stallone et De Niro qui jouent des vieux boxeurs. J'étais avec De Niro l'autre fois à dîner à la gare Saint-Lazare parce qu'il est venu faire un film avec Besson, qui n'a pas marché d'ailleurs ... Le film s'est cassé la gueule, c'était une catastrophe parce qu'on ne peut pas déraciner un type qui a fait Casino (Scorsese, 1995) ou Taxi Driver (Scorsese, 1976) et le mettre dans une ferme en Normandie. Vous voyez le décalage ! On ne peut pas transplanter un bananier dans le Nord. (rires) Il y avait eu un film aussi avec Kirk Douglas et Burt Lancaster - Kirk, je le connais bien - genre O.K. Corral mais des années après, et ça n'a pas marché.

Julien Morvan : Coup double (Kanew, 1986), en français !

Jean-Pierre Mocky : Voilà, exactement. Alors ces vieux acteurs ... aujourd'hui les producteurs les appellent des ringards, d'ailleurs moi-même on m'appelle un ringard ! Pourquoi ? Si vous connaissez le vieux cinéma, prenez mes amis Lautner, Molinaro, Pinoteau, Deray, Carné, Gance, Autant-Lara ... il y a une tradition dans le civil : quand vous avez 60 ans, on vous met à la retraite, on considère que vous allez vous mettre dans une mare avec des canards et attendre la mort. Mais le cinéma, c'est un métier où on ne prend pas de retraite, surtout tant que le type a ses moyens. Prenez l'exemple de mon copain Oliveira qui a 107 ans et qui est en train de tourner ! Lautner, ça faisait dix-sept ans que personne ne lui avait demandé de faire un film, Molinaro pareil, Verneuil pareil. Autant-Lara est resté trente ans sans travailler. 70 ans, la cloche sonne : "Allez va te faire foutre !", quel que soit le succès du type ! Les grands acteurs n'aimaient pas les gens comme moi car ils avaient un peu l'habitude de diriger les films. Moi, j'ai eu beaucoup de mal quand j'ai tourné avec Fernandel car il voulait toujours dire quelque chose ; Alberto Sordi pareil ... mais je les ai tenu ! J'avais trouvé le moyen, je leur disais "Tu veux faire une scène ? Vas-y, fais là, moi je suis payé je m'en vais" et ça ... ils ne supportaient pas.



Tanguy Métrope : En prenant quelques exemples justement ... Marcel Pérès ?

Jean-Pierre Mocky : Marcel était un acteur que j'adorais, un second rôle. Il était formidable mais c'était un garçon totalement analphabète, un gars de la rue. C'était comme si on avait pris le charbonnier du coin et qu'on en avait fait une vedette ... parce qu'il avait un naturel. Après, il a joué pas mal au théâtre aussi. Moi je l'ai utilisé beaucoup. Je n'ai pas pu utiliser Carette parce qu'il est mort, brûlé, au moment où je débutais. Je n'ai pas pu utiliser Jules Berry parce que j'étais son secrétaire et il est mort avant que je débute. Je n'ai pas pu utiliser Louis Jouvet parce qu'il est mort quand j'étais au Conservatoire, c'était mon professeur avec Belmondo. Tous ces acteurs ... Larquey, j'ai tourné avec lui dans Maternité clandestine (Gourguet, 1953), j'ai tourné avec Delmont aussi mais ce film n'est jamais sorti !

Julien Morvan : Vous auriez pu faire tourner Maurice Chevalier dans Le renard jaune !

Jean-Pierre Mocky : Oui ! Maurice, c'est l'homme qui m'a lancé. Il habitait avenue Foch, à côté des Champs-Elysées et mon film, Les Dragueurs (1959) ne sortait que dans une seule salle, qui était pleine. Il a été intrigué, il est rentré dans la salle, il a vu le film et en a dit beaucoup de bien par la suite dans une émission de télévision. Alors quand j'ai voulu faire Le renard jaune avec Bourvil, j'ai voulu prendre Maurice Chevalier parce que je voulais lui renvoyer l'ascenseur. Seulement ... les gens n'en voulaient plus. C'est encore l'histoire des ringards ...

Julien Morvan : Vous avez aussi été l'un des derniers à faire tourner des acteurs qui avaient une grande carrière, comme Alexandre Rignault ou Alice Tissot.

Jean-Pierre Mocky : Alice Tissot, oui ! (rires) Elle était folle de jalousie parce qu'elle détestait Pauline Carton, l'amie de Sacha Guitry qui tournait dans tous ses films. Dès qu'il y avait un truc marrant, c'était elle ou Marguerite Pierry. Et Marguerite était la concurrente de Alice Tissot ! Alors Alice ... (rires) ne tournait que dans des conneries. Je l'ai fait tourner une fois !



Tanguy Métrope : Et des gens comme Roger Legris ? Vous avez fait 8 films avec lui !

Jean-Pierre Mocky : Alors Roger Legris, son problème était assez grave : il était l'ami de Le Vigan, grand acteur que j'ai jamais pu faire tourner puisqu'il était exilé en Amérique du Sud. C'était un acteur formidable Roger Legris, je l'ai utilisé pas mal de fois, dans Les compagnons de la marguerite (1967), dans La grande lessive (!) (1969) parce que je l'aimais beaucoup seulement ... on s'est fâchés ! Il a tourné le sacristain dans Un drôle de paroissien (1963) et quand il a vu le film, il a trouvé que c'était sacrilège. Il est mort sans que je le sache, c'est une tristesse. Je l'avais vu dans Pépé le Moko (Duvivier, 1937), je l'avais trouvé formidable et après je guettais tous les films où il était.

Julien Morvan : Vous alliez chercher vos acteurs parce que vous les aviez vu au cinéma ?

Jean-Pierre Mocky : Oui ! Et Alexandre Rignault, c'était un très grand acteur. Je n'ai malheureusement fait qu'une petite scène avec lui, quand il regarde le derrière de Andréa Ferréol. Il avait eu de beaux rôles principaux.

Julien Morvan : Toujours dans les seconds rôles, deux acteurs que nous adorons ... Noël Roquevert et Jacques Dufilho !

Jean-Pierre Mocky : Ah oui, Dufilho je lui ai donné des premiers rôles ! Il a tourné beaucoup avec moi ...

Tanguy Métrope : De Funès avait d'ailleurs dit que c'était un acteur sous-exploité !

Jean-Pierre Mocky : Oui, oui mais je vais vous dire ... il avait des points communs avec Louis, il aurait pu faire sa carrière. Mais il était homosexuel et les gens, à l'époque, ne les appréciaient pas toujours, leur carrière était un peu freinée. Tissier aussi a été un peu freiné, c'était un acteur exceptionnel ! Je l'avais pris parce que j'avais tourné un film avec lui et Saturnin Fabre quand j'étais acteur ... mais le film n'est jamais sorti parce qu'il n'y avait pas de pellicule dans la caméra. Ça s'appelait Les nuits de Montmartre, on peut voir l'affiche d'ailleurs dans un livre qui va paraître. Il y a aussi La fleur de l'âge de Marcel Carné.



Julien Morvan : Vous avez aussi fait tourner Gabriello, dont on ne parle plus beaucoup aujourd'hui.

Jean-Pierre Mocky : Ah oui, Gabriello je l'ai fait tourner dans La bourse ou la vie (1965) ; c'est le seul film qui n'est pas dans mon coffret mais on l'aura l'année prochaine.

Julien Morvan : On a réussi à le voir grâce à la vidéo !

Jean-Pierre Mocky : Ah il existe en VHS ? Oui, Gabriello fait un des trois Robinhoude. C'était un personnage connu, il faisait le second d'Albert Préjean dans les Maigret.

Tanguy Métrope : Et vous avez mis des acteurs dans des situations atypiques, je pense à Jess Hahn dans Un linceul n'a pas de poche (1974) ... il est un diable en slip !

Jean-Pierre Mocky : Oui Jess, c'était un brave type, un américain exilé en France. Mais Noël Roquevert, malheureusement, je n'ai tourné que deux films avec lui comme acteur et un seul en tant que metteur en scène. Il était exceptionnel lui ... (rires) plein d'humour ! Pasquali aussi c'était un type marrant.

Julien Morvan : Les vedettes, vous en avez souvent parlé mais si vous deviez en garder un souvenir ... Francis Blanche par exemple ?

Jean-Pierre Mocky : Francis était un ami et un auteur, on a beaucoup travaillé ensemble. Quand je l'ai connu, il était mince comme vous. Il a eu un choc psychologique et il a grossi ... d'ailleurs dans sa carte d'identité des Compagnons de la marguerite, il a une photo de jeunesse. On était vraiment sur la même longueur d'onde, on a travaillé avec lui et Queneau sur plusieurs films. Mais quand on prend un second rôle, il faut que l'acteur vedette soit formidable sinon le second rôle écrase le premier. Aujourd'hui avec le misérabilisme des premiers rôles, on ne pourrait pas mettre Jean Dujardin face à Saturnin Fabre ou Jules Berry, il serait bouffé complètement ! (rires) Au fur et à mesure des années, même Michel Serrault n'aimait pas beaucoup que je lui mette des acteurs avec beaucoup de personnalité. Il n'en avait pas lui, il avait un physique banal. C'était un acteur formidable mais on ne lui a pas fait de scène avec Michel Simon dans L'ibis rouge (1975), il avait peur de la confrontation, il avait peur d'être écrasé. C'est pour ça qu'aujourd'hui, vous n'avez que très peu de seconds rôles.

Julien Morvan : Dans L'assassin habite au 21 (Clouzot, 1941), Larquey, Tissier et Roquevert écrasent presque Pierre Fresnay !

Jean-Pierre Mocky : Presque oui !

Tanguy Métrope : Vous aviez une réelle envie de faire tourner Michel Simon ?

Jean-Pierre Mocky : Oui mais je devais le faire tourner bien avant ! C'était le premier spectateur de Snobs ! en 1961 et je ne l'ai fait tourner que quatorze ans après. C'est un peu la même chose que Gabin, j'étais très copain avec lui et il devait tourner Le Témoin (1978), dix jours avant, il est mort. Je n'ai tourné qu'un seul film avec lui, comme acteur, Le rouge est mis (Grangier, 1957) où j'ai une petite scène. Coluche devait tourner Le miraculé (1987), vingt jours avant il est mort. Il parlait du film tous les jours dans son émission de radio. Là, je viens de tourner avec son fils Marius !

Julien Morvan : C'est vous qui avez offert ses plus beaux rôles à Jacqueline Maillan également.

Jean-Pierre Mocky : Oui ! Je suis fâché avec Delahousse, qui est un con fini, parce qu'il a fait une émission Un jour, un destin sur Jacqueline Maillan sans parler de mes films. Il a passé un peu du Miraculé pour Serrault et un bout d'émission sur Bourvil mais ... c'est un bandit, un fossoyeur, il gagne de l'argent avec les morts. Il a laissé entendre que Jacqueline Maillan était lesbienne ... elle n'a jamais été lesbienne, jamais ! C'est comme l'autre con de Cédric Kahn qui a fait La Môme [ndlr : il s'agit en réalité du réalisateur Olivier Dahan]. Il n'y a rien de vrai dans tout ça, moi j'étais très copain avec Edith Piaf. En même temps, avec ses gros yeux de vache, elle n'a rien à voir physiquement avec Piaf, qui était toute petite avec des petits yeux. J'appelle ça des profanateurs de sépultures. Maintenant je refuse de faire tout ce qu'il propose.

Tanguy Métrope : Juste un mot sur Bourvil et Fernandel ?

Jean-Pierre Mocky : Ils se détestaient. C'étaient des gens qui, humainement, étaient des braves types mais ils se détestaient. Un drôle de paroissien aurait dû être tourné par Fernandel mais son agent n'a pas voulu à cause des histoires de Don Camillo et de la religion. Je ne connaissais pas beaucoup Bourvil, qui avait fait beaucoup de conneries avec Berthomieu. Je lui ai remis le scénario, une heure après il m'a appelé pour me dire qu'il le faisait, gratuitement. Comme je connaissais Fufu, je l'ai appelé pour lui proposer le rôle du policier, ce qu'il a accepté, mais son con d'agent a demandé une fortune alors qu'il n'était pas encore très connu.

Julien Morvan : C'est un regret ?

Jean-Pierre Mocky : J'aurais dû en refaire un, j'ai eu un procès avec La Zizanie (Zidi, 1978) et Fechner, ils m'ont piqué mon sujet. On m'a donné beaucoup d'argent pour que je renonce à mon projet. Pour Fernandel, ça a été une amitié aussi pour La bourse et la vie. Marco Ferreri disait que c'était un de mes meilleurs films. Voyez la vie ... après ils ont tourné La cuisine au beurre (Grangier, 1963), ils se sont disputé pendant tout le tournage, ça n'a pas marché entre eux.

Tanguy Métrope : Vous auriez voulu les associer ?

Jean-Pierre Mocky : Non, non ... c'est des tempéraments similaires, ce sont deux doubles, des comiques dramatiques. Mais les mettre ensemble, c'était pas très valorisant. Le contraste avec De Funès était bien, dans La grande vadrouille (Oury, 1966), ils étaient bien ensemble ! J'aurais dû être le premier à les réunir mais le destin fait que ...

Julien Morvan : Un dernier acteur que nous aimons beaucoup, c'est Raymond Rouleau !

Jean-Pierre Mocky : Ah, Raymond, c'est toute une histoire ! C'était mon acteur favori quand j'étais figurant dans Dernier atout (Becker, 1942) qu'on avait tourné à Nice avec Pierre Renoir, Mireille Balin et Georges Rollin, qui était un type pas mal aussi ... plus personne ne parle de lui, il était gentil comme tout. On avait mis Raymond Rouleau, qui était petit, sur une petite estrade en bois pour qu'il soit aussi grand que Mireille Balin. Il est devenu mon idole, je le trouvais formidable. Je l'avais abordé quand j'étais figurant et il était très content que je connaisse tous ses films. Je l'ai retrouvé en 1952 lorsqu'il montait Thé et sympathie avec Ingrid Bergman. Après, en 1964, Jean-Louis Barrault m'a suggéré Raymond Rouleau pour jouer le maire dans La cité de l'indicible peur.



Julien Morvan : Une question triviale pour terminer ... si vous ne deviez garder qu'un seul film du cinéma français ?

Jean-Pierre Mocky : C'est à dire qu'il y en a plein ! J'aime tous les films français entre 1930 et 1960 ... Pépé le Moko, La rue sans joie (Hugon, 1938). J'aime les réalisateurs comme Maurice Tourneur, Fritz Lang, Pierre Chenal que j'aimais beaucoup, j'étais très copain avec lui.

Julien Morvan : On n'en parle plus beaucoup hélas.

Jean-Pierre Mocky : J'ai failli tourner un film avec lui en Amérique du Sud mais il a pris Maurice Ronet, ça s'appelait Section des disparus (1956). Je devais jouer le rôle mais c'est Maurice qui est parti car moi je tournais un autre film. Il a fait des films formidables ... Crime et Châtiment (1935). Moi, si vous voulez, le film que je préfère, c'est un film japonais. Les visiteurs du soir (Carné, 1942) aussi c'est formidable ! Et j'ai tourné un film avec Johnny Hallyday, qui a disparu, parce qu'il l'a acheté pour qu'on ne connaisse pas son âge ! C'est Dossier 1413 (Rode, 1962), je vous le recommande si vous le trouvez ! Il a 75 ans lui, mais il ne le dit pas. A chaque fois je me marre ...

Jean-Pierre Mocky se lève, il doit partir manger quelque part dans Paris. Pendant notre entretien, il a reçu plusieurs coups de téléphone, joué avec son chien, marché de long en large, évoqué près de huit décennies de cinéma entre souvenirs, carrière et amis. Nous sommes restés assis dans le seul canapé de cette grande pièce vide à l'écouter, à poser quelques questions. Nous sommes à peine levés qu'il est déjà sur le départ, en mouvement permanent, toujours courtois, toujours pressé. Nos 25 ans respectifs nous paraissent presque lourds à porter face à ce diable d'homme qui n'accuse ses 80 ans que parce qu'il entend encore en vivre vingt autres. A toute vitesse !


Par Julien Morvan et Tanguy Métrope,
Paris, le 26 janvier 2014


mercredi 15 janvier 2014

Entretien avec Hubert de Lapparent (1919)

A 94 ans, Hubert de Lapparent apparaît comme un témoin incontournable de l'âge d'or du Cinéma Français. Acteur de second plan au cinéma, enchaînant les silhouettes et les rôles aux côtés des plus grands, sous la houlette des meilleurs réalisateurs de son temps ; récurrent des séries télévisées des années 1970 et nom respecté du théâtre des années 1960, ce fils de grande famille passé par la Résistance et devenu comédien a accepté, avec la gentillesse qui caractérise les artistes les plus simples, d'évoquer avec nous son parcours, ses rencontres, ses souvenirs. S'il ne voit plus depuis plusieurs années, sa mémoire est restée intacte et c'est avec passion, à une vitesse prodigieuse, qu'il a bien voulu répondre à nos questions.



Hubert de Lapparent : Je suis né à Strasbourg, en 1919. Les Allemands avaient fait dans la ville une grande université et quand l'Alsace a été récupérée, les Français ont voulu créer l'équivalent. C'est Charléty qui a été nommé le premier recteur de Strasbourg et il a choisi pour les différents postes importants des scientifiques et des littéraires, dont mon père. Mon père était le fils du secrétaire perpétuel de l'Académie des Sciences et commençait à être reconnu dans son métier de minéralogiste. Ma mère est arrivée à Strasbourg deux mois avant ma naissance. J'ai été le premier garçon français né à Strasbourg : à l'époque on ne disait pas "garçon français" mais "vous êtes de l'intérieur". L'époque était très différente, nous n'étions pas des vrais alsaciens. On ne parlait pas la langue, cette langue que j'ai retrouvé de l'autre côté du Rhin pendant la guerre quand j'étais engagé dans la 1ère armée.

Julien Morvan : Vous avez donc grandi à Strasbourg dans les années 1920 et 1930. Aviez vous déjà des rêves artistiques ou étiez vous destiné à suivre une carrière comme votre père ?

HdL : Exactement. Nous étions destinés en principe à avoir des carrières scientifiques, nous étions ce que nous appellerions aujourd'hui des intellectuels. Mais ... j'étais paresseux ! (rires) Je ne faisais que les choses qui m'intéressaient, comme la littérature ou la chimie, dans lesquelles j'avais des prix. Mais je ratais mon baccalauréat sans cesse alors mes parents m'ont demandé ce que je voulais faire. J'avais fait du théâtre et de la peinture, mais comme les beaux-arts leur semblaient difficiles, ils m'ont inscrit au conservatoire de Strasbourg. Ce n'était pas une envie mais c'était une chose qui m'amusait.

Le Conservatoire de Strasbourg dans les années 1920.


JM : Alliez vous, à cette époque, au cinéma ou au théâtre ?

HdL : A Strasbourg on allait au cinéma naturellement mais nous n'allions pas beaucoup au théâtre. Mais j'ai eu l'occasion de voir deux ou trois pièces dont Volpone avec Charles Dullin et j'ai trouvé ça formidable. A Strasbourg, Charléty avait inventé les Cours Populaire de Langue Française où des amateurs montaient des pièces tous les ans pour que les Alsaciens apprennent le théâtre français et mon père a été un des metteurs en scène importants, parce qu'il aimait le théâtre. Alors moi j'ai commencé à jouer aux Cours Populaires. J'ai fait également du théâtre au lycée où les jésuites avaient créé un cours. Quand on m'a demandé ce que je savais faire, j'ai répondu : du théâtre et dessiner. Alors j'ai fait du théâtre !

JM : Votre passion pour la comédie, c'est avant tout le théâtre, plus que le cinéma et la télévision ...

HdL : De toute façon, tous les comédiens de mon époque, c'était le théâtre ! On faisait du cinéma ensuite. Alors aux débuts de la télévision, quand c'était en direct, ils appelaient uniquement les acteurs de théâtre capables de jouer du début jusqu'à la fin d'une pièce.

Charles Dullin dans Volpone fut un des premiers grands souvenirs de
théâtre de Hubert de Lapparent.
JM : Vous étiez jeune homme dans les années 1930. Étiez vous préoccupé par tous les grands événements internationaux ou nationaux, les bouleversements politiques ?

HdL : Nous étions plus intéressés par les mouvements littéraires, artistiques. Nous avons vécu la montée d'Hitler bien entendu mais nous n'étions pas politisés. Ils l'étaient beaucoup plus dans les classes populaires, moi j'appartenais aux classes dirigeantes. Il y avait des gens qui ça intéressait bien sûr ... vers 1936, je me souviens être allé avec mes jeunes frères à une réunion des jeunesses socialistes. Je les ai trouvé sympa ... mais ça m'a embêté ! Je n'étais inscris à rien.

JM : Je vous posais la question car, né en 1919, vous avez eu 20 ans l'année où s'est déclenchée la Seconde Guerre Mondiale.

HdL : 1939 n'est pas un bon souvenir. Mais j'étais au conservatoire, ça marchait bien et j'ai été engagé à Radio Luxembourg pour participer à quelques émissions. C'est comme ça que j'ai connu Blaise Cendrars d'ailleurs parce qu'ils avaient commencé à faire l'enregistrement d'une de ses œuvres qui s'appelait L'aurore.

JM : Vous nous aviez dit également avoir participé à la Résistance.

HdL : J'ai fait partie de l'armée secrète. J'habitais Albi à ce moment là parce que j'y avais fait un peu de minéralogie et j'avais rencontré des gens sympas de l'armée secrète qui m'avaient dit qu'ils viendraient me chercher si besoin. Et effectivement, un jour ils sont arrivés. Je suis rentré dans un groupe mobile républicain, des sortes de gendarmes passés à la Résistance [à ne pas confondre avec les GMR, force de répression de Vichy, ndlr]. C'était totalement apolitique. Quand la Libération est arrivée, je suis passé à la 1ère armée. C'était l'Allemagne que je voulais abattre.

JM : Avez vous, pendant cette période d'avant-guerre, puis d'Occupation, tissez des liens avec des gens qui ont pu compter dans votre métier d'acteur ?

HdL : Pas du tout. Encore qu'un moment, la Radio Française était réfugiée à Marseille et quelqu'un m'a dit que je devrais aller y faire un essai. La première émission s'est très mal passée car je me suis retrouvé entouré de gens beaucoup plus professionnels que moi et j'ai paniqué.


~ Débuts au cinéma et au théâtre ~




HdL : Il y a eu la fondation du Centre Dramatique de l'Est à Colmar. J'étais élève du directeur de l'époque, Roland Piétri, qui m'a emmené avec lui. Puis je suis revenu à Paris où j'ai joué Les bas-fonds de Gorki. Petit à petit, je me suis mis à faire des choses un peu plus importantes.

JM : Comment êtes vous arrivé dans la distribution de Manon (Clouzot, 1948) ? A-t-on été vous chercher ou était-ce une initiative personnelle ?

HdL : C'était moi ! Il se trouve que le producteur de Clouzot, Paul-Edmond Decharme, avait réalisé une traversée du Sahara dans un autobus où se trouvait mon père, qui partait faire de la géologie du côté de Tamanrasset. Il réalisa par la suite une interview de mon père, qui était devenu quelqu'un de connu, pour une radio, à Strasbourg. Au lendemain de la guerre, Decharme est devenu producteur de cinéma et j'ai demandé à mon père, qui était au soir de sa vie, une lettre de recommandation. J'y suis allé et Clouzot m'a dit qu'il connaissait mon père, qu'il avait assisté à plusieurs conférences et qu'il était un merveilleux conférencier ! On m'a donc trouvé un petit rôle dans Manon.

JM : D'emblée, vous avez donc eu un bon contact avec ce metteur en scène exigeant.

HdL : J'ai toujours eu un bon contact avec Henri-Georges Clouzot et pourtant il ne l'a pas eu avec beaucoup de gens. C'était un très grand cinéaste, un personnage très curieux. Dans La Vérité (1960), il y avait une atmosphère invraisemblable : il était charmant avec certains et odieux avec d'autres. Il a fait pleurer une actrice qui jouait un des témoins, il l'a emmerdé, emmerdé ... ça a été insensé !

JM : On a à peu près la même anecdote avec Brigitte Bardot ...

HdL : Oui, Brigitte Bardot était gentille, pas embêtante. Je n'avais pas de vrais rapports avec elle puisque je n'avais pas un grand rôle. Je faisais l'huissier, ce n'était pas grand chose mais j'étais là tous les jours. Je n'ai jamais eu à me plaindre même si c'était souvent difficile financièrement. J'en ai bavé à certains moments mais je n'avais, dans mon enfance, jamais su ce que c'était que de bouffer de la vache enragée. J'appartenais à des familles où on ne savait pas ce que c'était. Donc pour moi c'étaient des choses qui allaient passer ... il suffisait que j'aille mieux, que j'aie des rôles plus importants.

JM : Vous n'avez jamais été malheureux dans votre métier ?

HdL : Non. Comme tous les acteurs qui débutent, j'ai pris des paires de claques, comme tout le monde. Mais dans l'ensemble, quand je jouais ou je tournais, j'étais bien. Par exemple, quand j'ai tourné Gervaise (Clément, 1956), j'étais passé à la production avec mon agent - qui n'était pas épatant mais bon ... - et j'avais fait des essais de photos. Un jour, il m'appelle et me dit que j'ai rendez-vous avec René Clément, chez lui. Je savais que c'était L'Assommoir, je l'ai lu dans la nuit et quand je suis arrivé chez Clément, je connaissais mon personnage ! Et Clément m'a distribué !



JM : Comment s'est passé le tournage ?

HdL : Très bien ! A la fin du tournage, Clément et Jean Aurenche [ndlr : le scénariste du film] m'ont dit : "Vous passez très bien. Si on avait su, on aurait agrandi votre rôle !" Mais j'avais un contrat de dix semaines, je l'ai dépassé.

JM : Vous étiez à l'écran le mari de Jany Holt, qui avait connu une jolie carrière avant-guerre.

HdL : Oui, c'est ça. J'étais naturellement beaucoup plus jeune qu'elle mais ça s'est très bien passé avec elle. Elle ne tournait plus beaucoup à cette époque pourtant elle était sympa, je m'entendais très bien avec elle. Le tournage de Gervaise fut très agréable : je connaissais déjà François Périer, on s'était rencontré dans d'autres films. C'était une ambiance de copains. Je me rappelle d'un jour où Jacques Hilling dit à René Clément "Vous ne venez jamais nous voir au théâtre !" et Clément de lui répondre "Mais mon pauvre vieux, si je ne venais pas au théâtre, vous ne seriez pas là, Lapparent non plus !". Il ne venait pas dans les loges après, c'est tout.

JM : C'est intéressant de voir que Clément pouvait recruter des gens qu'il avait vu au théâtre. Aujourd'hui, un autre metteur en scène réputé, Bertrand Tavernier, affirme préférer voir des acteurs sur scène plutôt que de passer par des directeurs de castings pour ses films.

HdL : Oui ! D'ailleurs Tavernier me connaissait mais ne m'a jamais distribué. De même, il y avait un gars que je connaissais très bien, c'était Alain Resnais. Je l'ai vu souvent, c'est un curieux personnage. Il ne m'a jamais fait tourner en me disant "J'avais pas de rôles pour toi, tu es un personnage particulier avec une voix particulière."

JM : Est-ce que vous considérez que vous avez créé un personnage dans le cinéma français, avec des allures, intonations et signes particuliers ? Par exemple, Jacques Marin avait un vrai personnage la plupart du temps, souvent de français moyen, un peu râleur.

HdL : Non. Peu importe que le rôle soit sympathique ou antipathique, ce qui m'intéressait c'était de créer un personnage. J'aimais jouer ! Physiquement, vocalement, intellectuellement, je n'étais pas un acteur qui pouvait se choisir une formule. J'ai joué beaucoup de rôles, et différents. Et c'est quand même au théâtre et à la télévision que j'ai fait les choses les plus intéressantes. A la radio également, beaucoup de choses très intéressantes !

JM : De fait, vos rôles au cinéma étaient un peu secondaires ?

HdL : Oui, à part Gervaise, à part L'eau vive (Villiers, 1958) et le film de Jacques Becker où j'avais un rôle convenable [ndlr : Les aventures d'Arsène Lupin, 1957]. Le cinéma j'aimais bien ... et puis je gagnais bien ! C'était mieux payé au cinéma qu'à la télévision. J'ai tourné avec Becker, Delannoy, Renoir ...

JM : Et Jean-Paul Le Chanois, qui semblait vous apprécier puisque vous avez tourné plusieurs fois avec lui.

HdL : Il était très communiste et avait tourné un film au lendemain de la guerre sur le communisme pendant la guerre, pas très bon d'ailleurs. Je l'avais connu quand j'étais au Centre Dramatique de l'Est, on avait été le voir quand il préparait un film et on avait laissé une photo. J'ai été convoqué pour ... Sans laisser d'adresse (Le Chanois, 1952) où je jouais le rôle d'un balayeur à l'hôpital. Je n'ai jamais eu à me plaindre vous savez, même quand j'ai tourné avec Gabin. Parce que Gabin, c'était quand même une espèce de chieur.

JM : C'est un peu sa réputation aujourd'hui ...

HdL : Oui mais il fallait lui foutre la paix ! Il fallait être à l'heure, savoir son texte, pas l'embêter. A partir de ce moment là il devenait agréable. Dans En cas de malheur (Autant-Lara, 1958), j'avais un tout petit rôle mais Gabin s'est tourné vers Autant-Lara et lui a dit "Mais tu pourrais faire un gros plan de Lapparent !". Il a dit "Oui, d'accord". Fernandel, lui, ne voulait pas que l'on fasse des gros plans des autres.



JM : Des petits rôles mais qui restent parfois associés à des classiques du cinéma français ! Par exemple, tout le monde se souvient de votre apparition dans La traversée de Paris (Autant-Lara, 1956).

HdL : C'est Aurenche qui m'a imposé sur ce film ! Il a dit à Autant-Lara "On a découvert un acteur dans Gervaise, démerdes toi pour le distribuer dans La Traversée de Paris !". Il n'y avait pas grand chose mais j'ai été engagé pour jouer dans les résistants arrêtés. On me mettait toujours au premier rang ! Je sentais que Autant-Lara me surveillait ! Et un jour, il me dit "C'est à toi !". Il m'a expliqué la scène, j'ai joué et Gabin est resté, il était là pour la voir ! C'était une scène violente.

JM : Et Claude Autant-Lara vous a engagé de nouveau par la suite.

HdL : Oui. J'ai eu une bonne relation avec lui, c'était également un curieux personnage. Un homme de gauche passé à l'extrême droite. Moi, je m'entendais très bien avec lui mais je vais vous dire ... je me suis toujours très bien entendu avec tout le monde !


~ Une carrière auprès des plus grands ~



HdL : Je n'essayais pas d'emmerder les gens, je ne faisais pas le malin. Par exemple, la façon dont j'ai connu Renoir ... c'est invraisemblable. Je venais de tourner une petite scène dans un court-métrage et la production me dit qu'elle fait des essais pour Le carrosse d'or. On me présente à Renoir qui me donne un texte à apprendre. Au bout d'un moment, il me demande si je suis prêt et tourne la scène ... sauf qu'il la tourne vraiment, ce n'était pas un essai ! Hélas, la production française a fait faillite et tout la partie française a été faite par des anglais. Mais Renoir a quand même insisté pour que je double mon personnage. Il m'a engagé de nouveau après pour Elena et les hommes (1956). C'était un metteur en scène qui vous laissait aller en disant "C'est très bien mais on va peut-être en faire une autre". Il donnait des idées et décidait finalement aux rushes. Mais j'ai aussi tourné des nanars ... du genre Mon curé chez les pauvres !

JM : Justement, je voulais vous parler de ce film car il est réalisé par un grand metteur en scène d'avant-guerre, Henri Diamant-Berger.

HdL : On tournait en quinze jours. Le chef opérateur ne faisait pas d'effets de lumière mais tous les comédiens étaient bons. C'était un très bon metteur en scène, qui connaissait les comédiens. On allait très vite, c'est pour ça qu'il fallait des bons comédiens, pour ne pas multiplier les prises. Diamant-Berger était très connu dans le milieu, on savait que ça tenait le coup.

JM : Dans les années 1960, le cinéma français a produit des films sur l'Occupation et la Résistance, auxquels vous avez pu participer. Quel point de vue pouvait être le vôtre, vous qui aviez participé de près aux événements réels ?

HdL : Ça n'avait rien à voir avec mon expérience. Dans Le jour et l'heure (Clément, 1963), j'avais un petit rôle que Clément m'avait proposé. J'ai dit oui puisque c'était lui qui m'avait donné mon premier vrai rôle au cinéma. Mais le rôle n'était pas si facile que ça ! L'armée des ombres (Melville, 1969), c'était très différent. Je jouais le rôle d'un instituteur arrêté par les Allemands.

JM : Un cinéaste qui, comme Clouzot, a une réputation contrastée aujourd'hui.

HdL : Oui mais il n'était pas désagréable. Mais le film a été une escroquerie pour des gens comme moi car c'est tout juste si on nous a payé. On nous a dit "Ne vous inquiétez pas, Melville a un nouveau film !". Ce qu'on m'a proposé après était tellement inintéressant que j'ai refusé. Melville n'avait qu'à me distribuer un vrai rôle.

JM : La même année, vous retrouvez Autant-Lara pour Les patates (1969).

HdL : Oui. Nous avions tourné au mois d'août dans les Ardennes et le temps était glacial ! Mais nous avions un petit hôtel très agréable où on bouffait bien ! Surtout Pierre Perret et moi d'ailleurs (rires). Voyez, je n'ai aucun mauvais souvenir de tournage.

JM : Même quand les rôles ne vous intéressaient pas, tel Fantômas contre Scotland-Yard (1967) ?

HdL : Sur Fantômas, c'était trois fois rien mais Hunebelle voulait absolument m'avoir, alors on m'a très bien payé. Il m'avait vu dans d'autres films et il voulait Lapparent ! (rires) Avec Jean-Roger Caussimon, j'avais fait plein de choses très intéressantes, à la radio notamment, d'égal à égal.

JM : Vous jouez aussi face à Bourvil dans un petit rôle pour Trois enfants dans le désordre (Joannon, 1966).

HdL : Oui ... mais ça n'a pas marché avec Bourvil. Il m'emmerde moi, Bourvil. Pour moi, ce n'est pas un acteur.

JM : C'est intéressant d'avoir ce point de vue, assez rare. Vous devez être une des seules personnes en France à ne pas apprécier Bourvil ! (rires)



HdL : C'était un faux gentil. Je jouais en même temps Le goûter des généraux de Boris Vian au théâtre avec Paul Crochet. Je connaissais bien Paul, il était merveilleux. Je l'ai dit à Bourvil en lui proposant de venir nous voir puisqu'il venait de finir un film avec Paul, dans les Vosges [ndlrLes grandes gueules, Enrico 1965]. Il est venu dans la loge nous voir après la pièce pour parler avec Paul Crochet. Il n'a pas dit un seul mot sur la pièce ... Pas un mot ! D'ailleurs, il avait dit un jour "Molière m'emmerde". Moi je ne trouve pas que Bourvil soit un comédien formidable. C'était pas un acteur de théâtre mais un acteur d'opérette.

JM : La même année, vous retrouvez aussi un grand acteur que vous aimez, Bernard Blier, dans Un idiot à Paris (Korber, 1967).

HdL : Ah ... alors Bernard Blier, c'est tout à fait différent. Bernard Blier, c'était un sale con, une peau de vache. Il était méchant ... mais pas avec moi. J'ai fait une tournée avec lui, Le Nombril (de Jean Anouilh) en 1983. La plupart des acteurs ne voulait pas faire la tournée parce que Blier avait été odieux avec eux. C'était un rôle très important et il insista pour m'avoir. Je n'aimais pas trop les tournées et il a commencé à m'emmerder, comme tout le monde. Il était emmerdant comme la pluie au théâtre alors qu'au cinéma, ça s'était toujours très bien passé. Finalement, devant les menaces de la production, il a été gentil avec moi. Mais il était odieux avec les filles qui avaient des rôles secondaires. Je ne comprends pas que cet acteur, qui a fait une si belle carrière, était si méchant avec des gens comme ça. C'était un formidable comédien, c'était très agréable de jouer avec lui.

JM : J'aimerais revenir sur L'eau vive où vous trouvez un rôle important.

HdL : Je me souviens que ce film avait obtenu un Golden Globe [ndlr : Golden Globe du meilleur film en langue étrangère] ! J'ai tourné trois mois dans ce film, c'était un très beau film. J'étais prévu pour un petit rôle de notaire et lorsque je me suis rendu aux essais, Jean Giono, le scénariste et dialoguiste, qui venait de voir Gervaise, a insisté pour me faire jouer un rôle plus important. Je n'ai pas été copain avec le metteur en scène du film, il m'en a toujours voulu que je sois imposé par Giono.

JM : Finalement, Gervaise a été un tremplin important dans votre carrière.

HdL : Il m'a permis de faire d'autres films ! Je me souviens de Suzy Delair ... j'étais juste à côté d'elle dans une scène et de l'autre côté, il y avait Maria Schell. Or ... elles se détestaient ! Elles me prenaient à témoin, j'étais entre les deux.

JM : Leur animosité a pu servir le film alors. Car elles se détestent à l'écran !

HdL : Mais Clément l'avait prise un peu pour ça ! Dans la scène du lavoir, elles se tapaient vraiment dessus, elles se détestaient. Suzy Delair, c'est une très bonne comédienne. C'était un curieux personnage vous savez, elle était mal avec toutes les habilleuses, avec tout le monde. Mais avec moi et les autres comédiens, elle était très bien. En général, les bons hommes, elle était bien avec eux !



~ Une autre carrière et la postérité ~

HdL : Ça m'épate que vous m'appeliez aujourd'hui, car je n'ai rien fait pour cette reconnaissance.

JM : Je crois que la gentillesse avec laquelle vous nous parlez aujourd'hui se ressent dans vos rôles. J'ai 25 ans et je vous connais depuis longtemps. Et je ne suis pas le seul. Vous restez aujourd'hui un comédien populaire et très apprécié des cinéphiles.

HdL : Le public qui vient au théâtre, on ne le connait pas. Les gens n'osent pas trop venir nous voir à la fin de la pièce. Un peu plus dans les festivals, on rencontre les gens dans la rue, dans la journée. Mais c'est à peu près tout ...

JM : Vous avez pris votre retraite théâtrale et télévisée à la fin des années 1980. Est-ce que le manque s'est fait sentir ou étiez vous heureux d'accéder à une retraite méritée ?

HdL : Ça m'a manqué mais j'ai pu continuer à faire de la peinture et de la sculpture, je me suis complètement investi dans ces autres passions. J'ai fait beaucoup de sculpture, j'ai exposé dans les grands salons d'art contemporain, Réalité Nouvelle notamment. J'ai travaillé avec une galerie, en Belgique, au Luxembourg ; je n'ai jamais arrêté de travailler. Ma dernière sculpture date de 2006 et ma dernière exposition de 2003. A partir du moment où j'ai vraiment perdu la vue, j'ai stoppé. (Un silence) Je dois dire que si je fais le bilan de ma vie, toutes les époque j'ai traversé, je suis quand même un chanceux de la vie ! Je vous remercie de votre démarche, je n'imaginais que j'avais pu laisser un souvenir comme ça. Vous remercierez de ma part tous les gens qui pensent encore à moi.

JM : Vous n'avez pas fait tout ça pour rien, je vous l'assure.

HdL : C'est ça qui est important je pense. Quand on vit, il faut, autant que possible, laisser quelque chose.

Lundi 13 janvier 2014, Paris
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