samedi 22 février 2014

"LE VOLEUR DE FEUILLES" (de Pierre Trabaud, 1983)

En quelques mots : André est un vieux vagabond un peu poète. Il rencontre un jour, par hasard, un homme qui vient d'assassiner sa femme et qui erre dans Paris. Logés chez une vieille femme qui ne vit que dans la nostalgie de son amour de jeunesse, les deux hommes s'apprêtent à partager quelques instants de vie où la joie de vivre éclipsent provisoirement les malheurs.

Le voleur de feuilles est l'unique mise en scène au cinéma du comédien Pierre Trabaud, grand nom du doublage en France et apparaissant dans une poignée de seconds rôles dans les années 1950. Oubliée, sortie dans l'indifférence d'une exploitation hasardeuse en 1983, cette oeuvre poétique reste aujourd'hui difficile à voir, si ce n'est en la commandant sur le site officiel de son réalisateur. Et pourtant, elle devrait susciter l'admiration et le bonheur de dizaines de cinéphiles qui retrouveront, le temps d'une aventure humaine d'un autre âge, quelques fragments du cinéma populaire d'avant-guerre. Hors du temps, ce film évoque les plus belles réussites de Marcel Carné ou René Clair - la technique en moins -, dans des décors naturels et à une époque différente, peut-être plus triste ; forcément nostalgique. Le titre est lié à l'improbable profession du personnage de Pierre Trabaud, un peu vagabond et poète, prêt à tout par amitié, même à cueillir de véritables feuilles de fougères ou de bananiers pour les étals de ses amis commerçants. Le temps passe, l'étalement urbain s'impose et il faut aller de plus en plus loin pour en trouver, parfois dans des propriétés privées.



Les personnages dessinés dans le film sont déracinés et cherchent à survivre de leur mieux dans une époque qui ne leur appartient plus - la vieille dame qui peint son amour de jeunesse ; le jeune homme perdu dans une enfance qu'il chérit. Dès lors, rien de plus naturel que cette profession de voleur de feuilles, cette voiture des années 1920, ces peintures de l'après guerre, cette ambiance désuète. Mais Pierre Trabaud, plutôt que d'imposer un triste constat mélancolique, s'évertue à faire rire, sourire, rêver. Rien ni personne n'est morne dans cette fable optimiste et chaleureuse, emprunte d'une douce folie- si ce n'est le passé dramatique de tous les personnages.



Roger Lumont, qui interprète avec humour un carrossier dont le loisir est de se fracasser la tête contre les murs pour se donner de la force, m'avait confié que le film fut compliqué à monter pour son auteur, qui fit appel à nombre de ses amis pour lui donner la réplique. On retrouve ainsi beaucoup de comédiens spécialisés dans le doublage tels Jacques Deschamps, Jean-Claude Michel, Philippe Dumat, Georges Aubert ; ainsi qu'un Jean-Pierre Castaldi délicat, Jean-Pierre Darras dans une brève apparition et Denise Grey, superbe de grâce dans un rôle sur-mesure.



"Il faut bien rêver. Si on n'avait que la réalité ..." La dernière réplique du film souligne davantage la dimension onirique de cette aventure improbable et dramatique. En citant Arletty sur les bords du canal Saint-Martin, en évoquant les souvenirs insouciants des beaux jours des années folles, Pierre Trabaud s'inscrit dans un cinéma français classique, rêveur, populaire et contemporain. A la différence de ses aînés, son univers est désenchanté mais sa contemplation est probablement plus belle encore que la réalité qu'il regrette. Un optimisme rare et salvateur qu'il faut redécouvrir !

vendredi 21 février 2014

Décès de l'acteur Marco Perrin (1927-2014)

C'est avec tristesse que j'ai appris, comme beaucoup, la disparition il y a quelques jours déjà (le 17 février) de l'acteur Marco Perrin. Tous les cinéphiles se souviennent de son visage dur et charmeur de méridional à qui il ne fallait pas la faire. Handicapé depuis 1983, il s'était retiré du métier mais avait retrouvé le devant de la scène des souvenirs grâce à la passion d'un jeune homme, Jérémy Kaplan, qui lui a consacré un documentaire en 2010.



Second rôle que l'on remarque à coup sûr, Marco Perrin fut au casting des Malheurs d'Alfred (Richard, 1971), Tout le monde il est beau tout le monde il est gentil (Yanne, 1972) bien qu'il n'accepta jamais la pingrerie du réalisateur, Flic Story (Deray, 1975), L'homme pressé (Molinaro, 1977), Comme la lune (Séria, 1977), Le gendarme et les extraterrestres (Girault, 1978), La gueule de l'autre (Tchernia, 1979) ou encore La soupe aux choux (Girault, 1981). Mon meilleur souvenir de Marco Perrin reste sans nul doute sa performance face à Gérard Depardieu dans Les valseuses (Blier, 1973), la caméra tournant sans cesse autour des deux hommes qui, comme deux chiens qui se défient, manquent d'en venir aux mains.

Pour tous les admirateurs de l'acteur qui vient de nous quitter, je ne peux que conseiller la page Facebook tenue par Jérémy Kaplan, mise à jour régulièrement avec passion.

mercredi 19 février 2014

Bon anniversaire à ... Jacques Dufilho (1914-2005)

Jacques Dufilho est un de mes acteurs favoris et c'est un grand plaisir, jour après jour, de découvrir l'étendue de sa longue filmographie. Les rencontres avec les artistes du cinéma français, que j'essaye de vous faire partager sur ce blog, sont toujours l'occasion d'évoquer le souvenir de celui qui fut à l'écran l'exubérance, la folie et la drôlerie, et à la ville un homme de traditions, fixé à une France dont il avait la nostalgie. Il y a quelques jours encore, Jean-Pierre Mocky évoquait avec nous les regrets d'un comédien qui n'a pas eu la carrière qu'il méritait.



Malgré tout, la filmographie de Jacques Dufilho reste impressionnante. De ses débuts dans Croisière sidérale (Zwobada) en 1941 jusqu'aux rôles de la maturité, Le cheval d'orgueil (Chabrol, 1980), Pétain (Marboeuf, 1993) ou les sympathiques Enfants du marais (Becker, 1999), l'acteur a travaillé avec les plus grands. On se souvient de lui dans Cadet Rousselle (Hunebelle, 1954), dans Marie-Antoinette (Delannoy, 1955) en Marat, lui qui se déclarait monarchiste (!), Signé Arsène Lupin (Robert, 1959).

Jacques Dufilho fut un appréciable second-rôle comique dans plusieurs films que nous avons pu évoquer ici : Le monocle noir (Lautner, 1961), La guerre des boutons (Robert, 1962), Taxi, roulotte et corrida (Hunebelle, 1958), L'assassin connaît la musique (Chenal, 1963), Le bon Roi Dagobert (Chevalier, 1963), Fantasia chez les ploucs (Pirès, 1971). Chez Jean-Pierre Mocky, il trouva un univers loufoque à sa mesure : secondaire avec Bourvil dans La cité de l'indicible peur (1964), Snobs (!) (1962) ou en tête d'affiche dans le déconcertant Chut ! (1972) ; maître-chanteur emprisonné dans Y'a-t-il un français dans la salle ? (1982). La fin des années 1970 furent pour Dufilho une renaissance dramatique avec des prestations variées mais marquantes dans Le crabe-tambour (Schoendoerffer, 1976) et La victoire en chantant (Annaud, 1976). En outre, je ne peux plus imaginer, quand je redécouvre la série littéraire originale des Fantômas de Souvestre et Allain, un autre visage que celui de Jacques Dufilho pour le commissaire Juve, lui qui l'incarna dans quatre téléfilms signés Chabrol et Bunuel en 1980.

Jacques Dufilho est né le 19 février 1914 à Bègles, il aurait fêté aujourd'hui ses 100 ans !

dimanche 2 février 2014

"LE SAINT PREND L'AFFÛT" (de Christian-Jaque, 1966)



En quelques mots : Oscar Chartier décide de prendre sa retraite d'escroc international avec un dernier coup : vendre une information secrète aux allemands et aux américains. Celle-ci se révèle fausse et Chartier traqué par les deux camps. Il confie alors sa fille à son ami Simon Templar, dit le Saint, le célèbre aventurier britannique.

Une luxueuse voiture déchire le silence de la nuit, s'arrête devant le mur d'une propriété privée ; quatre hommes descendent, armés, et une voix-off nous informe qu'ils veulent tuer le Saint, lequel discute paisiblement avec un ami à l'intérieur de son grand salon écossais. On pourrait en sourire si le ton n'était pas aussi sérieux ! Les premières minutes du Saint prend l'affût sont incroyablement désuètes et il faut de l'admiration envers l'homme pour ne pas rire de l'acteur Jean Marais, portant kilt et buvant whisky, qui s'égare dans un dialogue de mauvaise parodie avec Henri Virlogeux. La première scène d'action, d'où sort Jean Yanne avec ses petites lunettes et son accent allemand de pacotille, sonne presque le glas du film : c'est un nanar ! Et soudain ... alors que tout ce petit monde s'envole vers l'Italie pour une improbable chasse au trésor, tout devient plus limpide. Le film de Christian-Jaque est bien une parodie de films d'espionnage, les situations s’enchaînent au rythme des cases d'une bande-dessinée et les personnages perdent tout complexe quant au ridicule. Il faut voir Jean Marais grimacer un code secret, Dario Moreno flirter avec des mafiosos venus prendre leur retraite au pays, Jean Yanne singer un accent allemand dans un costume étriqué, coiffé d'un petit chapeau tyrolien. L'aventure n'est plus qu'un prétexte à des effets comiques burlesques assez amusants, servis par une bande d'acteur qui, visiblement, s'amuse autant que le spectateur.



Dans le genre, Le saint prend l'affût est même une vraie réussite, surfant en 1966 sur le succès de la série des Stanislas (déjà avec Jean Marais) ou même des Barbouzes (Lautner, 1965) - la scène des micros y ressemble beaucoup -, préfigurant des succès récents telle la série des OSS 117 avec Jean Dujardin. Dialogué par Henri Jeanson (!), le film ne recule devant aucune extravagance dans le scénario ... ni dans la mise en scène de Christian-Jaque, pourtant conventionnelle à l'habitude, qui s'offre là des cadres improbables, des accélérés qui font tâche et un rythme effréné qui profitent à l'aventure.

On retrouve, autour d'un Jean Marais élégant mais qui a du mal à se décontracter, une belle bande d'acteurs survoltés : Jess Hahn en brute domestique ; Henri Virlogeux en escroc peureux ; Roger Carel en savant fou, affublé, comme toujours, d'un accent au couteau ; Jean Yanne en allemand grotesque ; Dario Moreno en bandit mafieux ; et la magnifique Danièle Evenou, encore jeune, en fillette aventureuse, espiègle ingénue, jalouse quand on drague son protecteur mais qui n'hésite pas à se battre contre des espions internationaux, en petite culotte, sur un camion lancé à toute allure. Cette dernière séquence fut d'ailleurs marquée par un drame célèbre dans le cinéma français puisque c'est lors d'un dérapage en voiture sur une récente autoroute de la couronne parisienne que se tua le célèbre cascadeur Gil Delamare. La scène est simple, pas impressionnante à l'écran, mais fut reprise plusieurs fois. La dernière fut fatale à celui qui avait toujours refusé de faire une cascade avec une décapotable jusqu'alors. Le Saint prend l'affût est-il maudit depuis ? Petit succès en salle mais détesté de Leslie Charteris, l'auteur des romans originaux ; rare à la télévision, édité récemment en DVD - dans une copie non restaurée -, le film est en général oublié avec les autres pantalonnades de l'époque malgré sa jolie distribution. Une redécouverte par les amateurs du genre lui offrirait sans doute un second souffle.
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