jeudi 28 novembre 2013

"LA BÊTE HUMAINE" (de Jean Renoir, 1938)



En quelques mots : Lantier est le conducteur d'un train qui relie régulièrement Paris au Havre. Victime de pulsions meurtrières, il a cessé de boire de l'alcool et ne semble apaisé que sur sa locomotive. Retenu en Normandie après une avarie, il tombe amoureux de la femme du sous-chef de la gare, lequel vient de tuer l'amant de celle-ci.

C'est toujours une grande joie de revoir, sur grand écran et en version restaurée, un film de Jean Gabin. Il y a quelques mois c'était La Grande Illusion (Renoir, 1937), aujourd'hui La Bête humaine est à l'honneur un peu partout en France pour accompagner la sortie du Blu-ray (StudioCanal). La scène d'ouverture n'a rien perdu de son souffle - la première image est une chaudière qui hurle, Gabin et Carette ne peuvent pas s'entendre et communiquent par signaux. A toute vapeur, la caméra nous plonge pendant une dizaine de minutes sur les derniers kilomètres du Paris-Le Havre dans les années 1930, à tel point que le spectateur peut croire sans mal qu'il est à l'intérieur de la locomotive. Le roman original de Zola est adapté par Jean Renoir, un peu rapidement parfois, et souffre aujourd'hui d'un classicisme encombrant : des scènes d'amour pudiques avec des fins où les deux personnages regardent vers l'horizon, joue contre joue ; des interprétations théâtrales de la part de Simone Simon ; une trame romanesque un peu longuette (propre aussi au roman). De quoi remettre en question le qualificatif de Chef d'oeuvre, rapidement évoqué dans la presse pour cette ressortie au cinéma. L'âge d'or du Cinéma Français n'ira pas jusqu'à là.



Toutefois, force est de reconnaître que La Bête humaine peut se targuer de nombreuses qualités, notamment sur la manière de filmer une classe sociale. Dès les premiers plans du film, on se croit et on se rêve cheminot, dans la suie, l'huile et l'enfer d'une locomotive à vapeur. Les films contemporains ne s'aventurent que très rarement à filmer des petites gens, des ouvriers, préférant la nouvelle petite bourgeoisie urbaine et fortunée. Chez Renoir, les hommes sont libres, face à leurs destins, dignes. De fait, l'excellent casting y participe : Julien Carette en compagnon de route, Fernand Ledoux en assassin brisé, Blanchette Brunoy pour quelques minutes de grâce à la campagne, Jean Renoir en ouvrier gueulard ou encore Marcel Pérès, éternel troisième couteau.

Jean Gabin trouve là l'un de ses meilleurs rôles, d'une intensité remarquable malgré des dialogues souvent mièvres. Sa folie est contenue - il n'a d'ailleurs rien d'une bête humaine - mais explose lorsqu'il approche du bonheur. Par son ascendance familiale (il est le fils de Gervaise et se fend d'une longue tradition d'alcoolisme), il est devenu un inadapté à tout ce que la société peut lui offrir de bon, sa vie se résume au train d'enfer qu'il conduit vers un seul endroit, son propre terminus. La manière dont Renoir filme d'ailleurs son suicide est remarquable car sans les fards d'une multitude de plans. Lantier a sauté en marche, avec allure. Et déjà il faut dégager la voie pour que tout continue.

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