Personne n'a oublié Robert Le Vigan, ce formidable acteur au destin tragique. A la suite du tournage de L'assassinat du Père Noël (1941), il écrit une lettre au directeur de la Continental, Alfred Greven, où l'on peut lire les mots suivants : "Je voulais être un des facteurs participant au nouvel ordre des choses entre les hommes de race blanche que nous sommes. [...] Je suis heureux d'avoir suivi mon jugement et mes sentiments puisque j'en suis à la collaboration bienfaisante où vous voulez m'accueillir".
Durant l'Occupation, il tourne une quinzaine de films, dont Untel père et fils de Julien Duvivier (1943) ou Goupi Mains-Rouges (1943) de Jacques Becker. Cette même année, il s'engage, peut-être sous l'influence de son ami, l'écrivain Louis-Ferdinand Céline, au PPF (Parti Populaire Français, le parti fasciste de Jacques Doriot) et clame tout haut son antisémitisme, jusque dans des émissions de propagande sur les ondes de Radio Paris, où il écrit et interprète des sketchs. Engagé par Marcel Carné et Jacques Prévet pour Les enfants du paradis, il quitte le tournage lorsqu'il apprend le débarquement des Alliés en Italie (Pierre Renoir reprend son rôle) - Arletty, elle aussi inquiète car son amant allemand se bat à Monte Cassino, manque de quitter le film. Il s'enfuit alors avec Céline en Allemagne. Henri Rousso écrit à propos de cette période : "Il traine sa mélancolie. Le foulard autour du cou, une canne "grand siècle" à la main, il n'est plus qu'un vague figurant". Il tente de passer en Suisse en mars 1945. Arrêté, il est emprisonné à Fresnes.
Le procès de Robert Le Vigan s'ouvre en 1946. Il risque la peine de mort pour atteinte à la sûreté extérieure de l’État. Des professionnels et amis viennent le soutenir au procès et plaider en sa faveur : Julien Duvivier, Jean-Louis Barrault et Madeleine Renaud, Louis Jouvet, Fernand Ledoux, Pierre Renoir. Tous essayent de convaincre qu'il a été entrainé dans la folie de Céline, qu'il n'est pas responsable de ses actes.
Ils essayent même de le faire passer pour un déséquilibré : Madeleine Renaud explique que Le Vigan dormait avec une hache et un vélo, pour se défendre et s'enfuir. Un diagnostic médical indique pourtant qu'il n'est pas malade, seulement un "déséquilibré psychique [...], intelligent, habile dans sa dialectique [...]". De fait, l'acteur est déclaré responsable de ses actes et condamné à dix ans de travaux forcés, à l'indignité nationale à vie et à la confiscation de tous ses biens.
Après trois ans d'internement, il est libéré sous condition. Il tente de se réinsérer, devient libraire place des Vosges, puis quitte finalement le pays pour l'Espagne et l'Argentine, où il meurt dans la misère en 1972, en ayant toujours refusé de revenir en France. Pierre Chenal, qui l'avait dirigé dans L'homme de nulle part (1937) déclara après sa mort : "Céline : une ordure géniale qui n'a trouvé en Le Vigan qu'un personnage de roman. Et pourtant c'était son copain."
Cet article a été rédigé en partie grâce à l'excellent livre de René Chateau sur le Cinéma Français sous l'Occupation. Les photos proviennent de cet ouvrage.
2 commentaires:
bonjour,article sur Robert Levigan
trés interessant.
merci
"Untel, père et fils" n'a pas été tourné en 1943 sous l'occupation mais en 1939. En regardant le film,
on comprend immédiatement que c'est un film patriotique anti-allemand. En fait il n'a pas pu sortir en France du fait de l'occupation allemande. Il est sorti aux Etats-Unis en 1943 et en France après la guerre.
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