lundi 24 septembre 2012

"L'AUBERGE ROUGE" (de Claude Autant-Lara, 1951)



En quelques mots : Au XIXe siècle, en Ardèche. Un couple d'aubergistes et leur domestique assassinent depuis 20 ans tous les clients qui viennent trouver chez eux le pain et le coucher. Une froide nuit d'hiver, arrivent simultanément les passagers d'une diligence abîmée, et un moine accompagné d'un disciple. Résignée à ne pas assassiner un homme d’Église, l'aubergiste se confie à celui qui ne doit pas trahir le secret de la confession.

Fernandel n'aimait pas ce film : croyant, il détesta les aspects anticléricaux du scénario mais ne s'en rendit compte qu'au milieu du tournage ; en outre, la mise en scène et la direction du film lui échappèrent, lui qui était habitué à voir les films se construire uniquement autour de son action. De fait, au premier abord, son personnage de curé comique, gesticulant et grimaçant à l'extrême dans une tradition burlesque, peut perturber le spectacle d'un conte cynique, à l'humour grinçant, bien plus fin qu'une simple pochade. C'est même à se demander si Fernandel était bien l'interprète idéal pour ce rôle - il faut aussi se souvenir que Jean Aurenche, scénariste et dialoguiste du film avait déjà écrit pour le comique marseillais pendant la guerre (Adrien, en 1943) uniquement pour faire travailler son ami René Wheeler, sans enthousiasme particulier pour les gags de la star. Retrouver ce casting à l'affiche d'un même film au sortir de la guerre a presque de quoi faire sourire.

Et pourtant ... quiconque découvre ou redécouvre ce film aujourd'hui ne peut être qu'admiratif de la qualité de l'ensemble, du quasi sans-faute de toute l'équipe pour faire de L'auberge rouge un chef d’œuvre de comédie et d'humour noir ... et l'un des plus grands rôles de Fernandel !

L'acteur semble aussi perdu que le personnage qu'il interprète au milieu de tous ces gens parfaitement étrangers : d'un côté la froideur cruelle de Julien Carette et Françoise Rosay en aubergistes assassins, de l'autre les passagers de la diligence (dont Jean-Roger Caussimon, très drôle qui parvient à faire jouer le moine aux cartes, pour de l'argent !). Fernandel seul se démène à les sauver tous, dans beaucoup de situations amusantes, et s'il est bien la star du film, les autres comédiens ont une forte importance et, plus rare, de l'épaisseur - y compris pour le jeune moinillon qui, en l'espace de quelques scènes, renonce à sa vocation et découvre l'amour d'une jeune fille.


Ainsi la star Fernandel n'est plus la star - il n'arrive véritablement dans le film qu'au bout d'un quart d'heure d'ailleurs. Et s'il impose son charisme dans les premières séquences très amusantes où il se présente, montre son reliquaire et improvise une quête, tout bascule dans l'une des scènes les plus célèbres du film. Françoise Rosay, qui ne veut pas assassiner un religieux, décide de tout lui confier pour le faire fuir - sécurisée par le caractère impénétrable de la confession. En quelques minutes drôles à souhait, le film aurait pu sombrer dans le drame. C'est là que le caractère naturellement comique de Fernandel devient l'élément central du film, qui oscille constamment entre farce et horreur, dans une atmosphère teintée d'humour noir.

Son personnage - et c'est peut-être ce qui lui a déplu - est le plus grotesque de l'histoire (on ne croit même pas à son tonsure) : il manque d'oublier la prière du repas car il a faim, fait la quête pour pouvoir manger en prétextant un don pour un Saint, rechigne à confesser une pécheresse car sa soupe est chaude. Les passagers de la diligence semblent avoir un peu plus la maîtrise d'eux-mêmes. Et pourtant, c'est bien lui, avec son humour en parfait décalage avec la situation (probablement involontaire de sa part, qui plus est) qui assure toute sa force au film. Il est la pointe d'ail qui fait d'un simple gigot un plat exquis, et de L'auberge rouge un chef d’œuvre d'humour noir. Constamment perdu, exubérant, à la limite du cabotinage supportable (toute la séquence du mariage), Fernandel compose un personnage comique qui ne fonctionne - et c'est rare dans sa carrière - qu'en opposition aux autres, en réaction à leur flegme.

Une autre forme de comique aurait rendu le film dramatique ou grand-guignolesque. Fernandel, avec le plus grand naturel, fait prendre toute leurs forces aux autres protagonistes du film et aux séquences habilement montées par Claude Autant-Lara. Il faut rendre hommage au travail des techniciens sur ce film, entièrement réalisé en studio, à commencer par le metteur en scène cité, mais aussi aux décorateurs (l'endroit est superbe, tout comme le petit pont de bois et les chemins de neige) et au chef-opérateur qui a créé une sublime lumière (André Bac).

On pourrait évoquer L'auberge rouge sur des pages et des pages - je me suis juste borné ici à évoquer le jeu crucial de Fernandel. Je vous propose aussi de réécouter sur ce blog la très jolie complainte du générique de début, écrite par René Cloërec et interprétée par un Yves Montand habité.

Extrait audio : La complainte de l'auberge (par Yves Montand)

6 commentaires:

Anonyme a dit…

Bonjour JM,

Bien bel article que voilà...Oui, c'est un film formidable, avec des dialogues savoureux, et un Julien Carette comme on l'aime...

"J'pense bien. Ca ne s'oublie pas, les mauvais souvenirs"

Amicalement

Garance

Julien Morva, a dit…

Merci beaucoup chère Garance pour votre gentil commentaire. Vous avez raison de souligner la performance comique de Julien Carette, acteur populaire du cinéma français un peu oublié aujourd'hui hélas.

Robbin a dit…

Personnellement je préfère la version avec Christian Clavier et Gérard Jugnot très amusante. Le fait d'avoir remis au goût du jour ce film qui était banal a donné un second éclairage bien meilleur.

Julien Morva, a dit…

Rassures moi Robin. Tu plaisantes n'est-ce pas ?

Robbin a dit…

Non non pas du tout... Sinon je ne l'aurais pas dit...

garance a dit…

Bonjour Julien,

Euh...Al Capitaine, mdr ;-)

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