lundi 22 octobre 2012

"AU NOM DE LA LOI" (de Maurice Tourneur, 1932)

En quelques mots : A Paris, un policier qui rêve de résoudre seul une enquête difficile est retrouvé dans la Seine le lendemain, une balle dans la nuque. Son supérieur et deux collègues, Ludovic et Lancelot, décident de le venger et reprennent l'enquête. Ils découvrent bien vite un chauffeur de taxi un peu louche et une belle jeune femme qui s'amuse à brouiller les pistes.

Découvert grâce au coffret Maurice Tourneur édité par Pathé, Au nom de la loi est un vrai régal pour les cinéphiles ! A partir d'une histoire assez routinière - une enquête de police pour démanteler un réseau de trafiquants de drogue -, Tourneur parvient à restituer un portrait très vivant du Paris et de la société des années 1930, avec d'autant plus de véracité qu'il tourne beaucoup en extérieurs réels, et probablement avec de véritables policiers en figurants. Avec beaucoup de soin, le scénario (de Paul Bringuier, co-écrit avec Tourneur) montre point par point le déroulement d'une enquête policière dans l'entre-deux guerres, avec le plus de réalisme possible ; ainsi on découvre une fouille au corps sur une femme effectuée par une concierge (car il n'y avait pas de femmes dans la police), des policiers qui ne se servent quasi jamais de leurs armes, un préfet de police tout puissant (probablement inspiré par l'ambitieux Jean Chiappe) et mille petits détails du quotidien.

Pour servir son histoire, Tourneur engage des acteurs qui se fondent dans leurs personnages : il est bon de retrouver Pierre Labry beaucoup plus sobre que dans Les gaîtés de l'escadron, Charles Vanel déjà très charismatique et Gabriel Gabrio en chauffeur de taxi proxénète et vendeur de "coco", qui apparaît dans deux magnifiques scènes : l'arrestation et l'interrogatoire, où l'on sent une violence sous-jacente dans les rapports entre le truand et les policiers. Pour autant, pas question de violence physique (sinon pour le maitriser) mais d'épuisement psychologique à la recherche de l'aveu. Très amusante, une scène montre le commissaire qui présente une photo de femme au suspect, qui affirme d'emblée "Oui, c'est bien elle ! J'en suis sûr !", ce à quoi le policier rétorque "Imbécile ! C'est la Reine des Belges !". Cet interrogatoire qui ne mène à rien se conclut pourtant par une scène rare, où Charles Vanel offre son verre de vin à celui qui n'a rien mangé depuis plusieurs heures, avec une très belle humanité dans les regards échangés.


La deuxième partie du film est beaucoup plus intense et se termine par une longue et superbe séquence où le bandit se retranche dans un appartement, encerclé par des hordes de policiers. Le siège en question est à nouveau l'occasion de découvrir des détails d'époque (comme la brigade des gazs, chargée d'enfumer le malfrat, où le gilet par-balles de Pierre Labry, assez encombrant) et de mettre en comparaison, facile mais évidente, cette séquence avec un autre film tourné la même année à Hollywood, Scarface, de Howard Hawks. On sent la même détresse chez Harry Nestor (balafré sur la joue, lui aussi) que chez Paul Muni et le sentiment qu'il sera dur d'échapper au destin. Cette séquence montre aussi l'influence américaine de Maurice Tourneur, qui avait fait une réelle carrière à Hollywood au temps du muet et qui venait juste de revenir en France, dans la mise en scène remarquable du siège et de l'assaut, et dans l'utilisation des décors pour servir la dramaturgie (ils sont, à ce niveau, tous sublimes, particulièrement ceux des bandits).

En marge de cette ambition réaliste on retrouve une trame dramaturgique plus classique, quoique très efficace (là aussi d'inspiration américaine), d'un policier infiltré dans une bande de trafiquants, qui tombe sous le charme de celle qu'il doit surveiller. Les deux dernières scènes restent, de ce point de vue, mystérieuses, au spectateur de se faire son propre avis sur la question.

Il est désormais possible de retrouver ce film en DVD, dans une version magnifiquement restaurée, et dotée d'un bonus passionnant, où l'historien Jean-Marc Berlière, spécialiste de l'histoire de la police, montre dans le détail le caractère réaliste de Au nom de la loi, unique en son genre et replacé dans son contexte d'origine, autour de Bertrand Tavernier, toujours passionnant à écouter parler de cinéma.

2 commentaires:

Robbin a dit…

J'adore Charles Vanel que j'avais adoré dans La Main au Collet d'Alfred Hitchcock et dans d'autres films. Celui là je ne l'ai pas vu non plus...

Julien Morva, a dit…

Un très bon acteur, oui ! Une sorte de Lino Ventura avant l'heure, viril et ténébreux, le phrasé qui accroche l'oreille et le regard puissant. Il a une très jolie carrière et à joué dans quelques chefs-d’œuvre : LE SALAIRE DE LA PEUR, LES DIABOLIQUES, LES MISÉRABLES, LA BELLE ÉQUIPE et j'en passe.

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